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Fin de mission, Phil Klay

Ecrit par Victoire NGuyen 14.03.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA, Gallmeister

Fin de mission, janvier 2015, traduit de l’Anglais (USA) par François Happe, 309 pages, 23,80 €

Ecrivain(s): Phil Klay Edition: Gallmeister

Fin de mission, Phil Klay

 

Soldat Klay au rapport


Fin de mission est un recueil composé de douze nouvelles dans lequel l’auteur relate l’expérience de la guerre en Irak et en Afghanistan.

Le lecteur entre dans l’intrigue in media res. Il n’y a pas d’échappatoire pour lui. Ouvrant son livre, il est plongé dans la violence, la brutalité et la déshumanisation. Il vit lui aussi la guerre par procuration. Et en effet :

« On a tiré sur les chiens. Pas par accident. De façon délibérée. On avait appelé ça Opération Scooby. Moi, je fais partie des gens qui aiment les chiens, alors, forcément, ça m’a fait gamberger ».

C’est par ces quatre phrases simples que débute toute l’œuvre. La cible est atteinte. Si dans la guerre, les civils sont massacrés, tués, torturés, cela fait partie des dommages collatéraux, des missions « ordinaires » car il est aisé de comprendre qu’il n’y a pas de frappes justes, chirurgicales et « propres » où seul l’ennemi est visé. Cependant, l’humanisation qui relie encore le soldat à la « normalité », à la « civilisation », est son ami de toujours, le chien. Nous savons tous l’importance des chiens de guerres dans les divers conflits qui ont secoué le globe. Ainsi, lors de la guerre du Viêt Nam, les soldats sont revenus au pays avec beaucoup plus de chiens que de compagnes. Ainsi, le fait de tuer un chien témoigne-t-il de la fin de toute compassion surtout lorsque l’animal a perdu lui aussi ses caractéristiques « domestiques » faisant de lui le meilleur ami de l’homme. Dans Fin de mission, les chiens, affamés, abandonnés lapent le sang humain pour survivre. Ils deviennent « contre nature » pour l’homme. Ce choc frontal, cette perte irrémédiable de l’humanité et de l’amitié entre les hommes et entre les hommes et les bêtes rendent nos personnages hébétés, traumatisés, hagards. Ils deviennent des machines à martyriser et à comptabiliser les cibles atteintes. Dans l’enfer de la guerre, au cœur de l’Irak, l’auteur nous introduit directement dans les missions de tous les jours : déminage, blessures par balles, guet-apens, morts, explosions sur les mines… Le lecteur n’a pas le temps de souffler. Il est pris en otage. Il suffoque de voir toute cette violence étalée devant lui, toutes ces barbaries que sont amenés à vivre les soldats et les Irakiens. Par ces procédés littéraires, le texte de Phil Klay s’apparente à des scénarii, des images cinématographiques. Il y a une certaine convergence avec le film de Kathryn Bigelow, Démineurs. Les séquences narratives ont des allures de plans séquences, de zooms et de travellings.

Fin de mission traite aussi du syndrome de stress post-traumatique. Le soldat de Phil Klay, celui qu’il a côtoyé au cours de ses missions mais aussi en tant que personnage littéraire, est considéré avec compassion. Phil Klay évoque l’incapacité de ces derniers à retourner à la vie civile, mais aussi l’alcoolisme, la solitude, le suicide et l’échec dans la vie privée. Phil Klay pointe du doigt les manquements de la société américaine quant au travail de réinsertion de ses boys. Ces hommes, meurtris, vont devoir eux aussi affronter les civils américains, avides d’images sordides de guerre et de voyeurisme malsain.

« Il y a deux façons de raconter l’histoire. La drôle et la triste. Les mecs aiment bien la drôle, avec beaucoup de sang partout, et un sourire sur votre visage quand vous arrivez à la fin. Les filles aiment bien la triste, avec un regard qui se perd dans le lointain tandis que vous contemplez les horreurs de la guerre qu’elles ne peuvent pas voir ».

Fin de mission met en scène non seulement des traumatismes psychiques mais aussi le traitement du corps. L’œuvre n’épargne pas le corps. Il est maltraité, martyrisé, démembré. Dans les champs de bataille, le corps n’est pas idolâtré. Il est protégé au minimum. Il est fragile, à la merci de l’ennemi. Le corps est voué au supplice de la torture et de la souffrance. Il demande grâce. Il supplie qu’on l’achève par humanité et pour l’amour de l’Homme puisque Dieu n’a pas de place dans l’antichambre de l’Enfer :

« Doc secoue la tête. Seulement battus, dit-il. Avec des morceaux de tuyaux, je pense. Des tas de lacérations sur tout le corps et en particulier sur la plante des pieds. Et ils leur ont fait des trous dans les chevilles avec une perceuse électrique, juste au niveau de l’articulation, ils resteront infirmes à vie ».

Fin de mission est un texte au style rude, cru mais percutant. Phil Klay relate à la façon d’un procès-verbal ou d’un rapport ses missions à haut risque. Il n’épargne rien à ses lecteurs. Il dénonce, il livre son écœurement et son dégoût à ses lecteurs confidents. Cependant, Phil Klay est un vétéran. L’émotion n’a pas sa place dans sa narration. Il décrit juste une situation. Au lecteur de faire le reste…

Avec Yellow Birds de Kevin Powers, Phil Klay nous livre ici un récit coup de poing sur la guerre et sur les guerres en général. C’est une œuvre grave, engagée qui mérite d’être lue…

 

Victoire Nguyen


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A propos de l'écrivain

Phil Klay

 

Phil Klay est âgé d’à peine 30 ans. Il est vétéran du corps des Marines. De 2007 à 2008 il a servi dans la province irakienne d’Anbr. Fin de mission est son premier ouvrage littéraire dans lequel il relate son expérience de la guerre. Fin de mission est lauréat du très prestigieux prix National Book Award en 2014. Il a été traduit et publié par Gallmeister.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.