Fabricants d’intox La guerre mondialisée des propagandes, Christian Harbulot
Fabricants d’intox La guerre mondialisée des propagandes, février 2016, 165 pages, 11 €
Ecrivain(s): Christian Harbulot Edition: Lemieux éditeur
On le sait bien aujourd’hui : notre société de l’information est aussi une société de la désinformation. Informations non vérifiées ou manipulées circulent abondamment sur le web et les réseaux sociaux – voire dans les médias traditionnels. Le public de son côté doit trouver une voie difficile entre une adhésion peut-être naïve et une méfiance parfois excessive, pouvant l’attirer dans les marécages dangereux de la pensée complotiste. L’essai de Christian Harbulot, en soutenant l’idée d’une guerre de l’information impliquant États, groupements d’intérêts, grandes entreprises, peut rebuter tout d’abord, en semblant nous entraîner sur le terrain d’une défiance généralisée : « Les fabricants d’intox œuvrent dans tous les camps », proclame la quatrième de couverture. Mais à la lecture, l’essai, par moments un peu allusif, se révèle souvent éclairant.
Le premier chapitre est assez ardu pour le novice : il revient sur l’utilisation de « l’intox » par l’armée et les services de renseignement français notamment dans le contexte des guerres coloniales, en regrettant le retard français en la matière, et en saluant à contrario le travail effectué dans le cadre de l’École de Guerre Économique créée par l’auteur. Abondant en sigles, en noms, brassant des faits éloignés dans le temps et dans l’espace, le chapitre rend la démonstration difficile à suivre. Les chapitres suivants, au contraire, étayent de quelques exemples des idées fort claires. Le propos est parfois très synthétique, mais les notes abondantes suggèrent de nombreuses références permettant un approfondissement, et proposent notamment des dossiers documentant les cas présentés.
Le chapitre II, « L’information au bout du fusil », apporte un point de vue intéressant sur la médiatisation des conflits armés et des attentats terroristes, en soulignant une disproportion informationnelle entre le « fort » – les armées occidentales – qui doivent « rendre des comptes à la société de l’information » et les faibles – les forces terroristes ou insurgées – qui « l’utilise comme un tremplin ». Harbulot semble ainsi inciter, dans ce chapitre, les démocraties occidentales à utiliser toute leur « force de frappe informationnelle ». Le chapitre suivant, « Les fabricants de démocratie », fait des États-Unis l’exemple d’une démocratie utilisant les ressources de la guerre de l’information. Christian Harbulot, de façon provocatrice, y déclare : « Peut-être découvrirons-nous un jour que l’une des plus grandes manipulations du XXe siècle fut le discours américain sur l’exportation de la démocratie à travers le monde ». Mais de fait, sa démonstration est convaincante : il met en évidence l’utilisation de l’argument démocratique pour les États-Unis pour défendre leurs intérêts politiques et économiques. Le chapitre se termine par une étude éclairante des manipulations de l’information auxquelles se sont livrés la Russie et les États-Unis, chacun de leur côté, lors de la guerre en Ukraine.
Après un chapitre consacré à la guerre de l’information dans le domaine de l’entreprise, le chapitre V s’attache aux manipulations de l’information perpétrées par des acteurs de la société civile, à partir notamment d’opérations d’intox menées par Greenpeace.
Alors que le positionnement de l’auteur paraissait jusqu’alors pragmatique – l’objectif assigné aux États en matière d’information étant plutôt l’efficacité – Harbulot adopte à partir de ce moment un point de vue éthique, invitant la société civile à un usage moral de l’information. Le dernier chapitre et la conclusion tâchent de formuler des mises en garde. Il s’agit globalement de rendre conscient de la prolifération de ces opérations d’intox et des affrontements dont le monde immatériel de l’information est le terrain. Leur impact, souligne toutefois Harbulot, est rendu potentiellement plus éphémère par l’abondance de l’information disponible : l’enjeu pour le citoyen est d’arriver à une maîtrise du rapport à l’information rendant la plus difficile possible l’entreprise de ces « fabricants d’intox ». Harbulot suggère ainsi pour finir une mutation de leurs stratégies, la manipulation de l’information laissant place à une utilisation « offensive » de connaissances avérées – ce qui appelle non seulement à un renforcement nécessaire de l’enseignement des médias, mais aussi à un retour de l’enseignement de la rhétorique, dont ces stratégies relèvent.
Ivanne Rialland
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