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En face, Pierre Demarty (2ème article)

Ecrit par Cathy Garcia 20.01.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Flammarion

En face, août 2014, 192 pages, 17 €

Ecrivain(s): Pierre Demarty Edition: Flammarion

En face, Pierre Demarty (2ème article)

 

« Ils imaginèrent que tout homme est deux hommes et que le véritable est l’autre », Jorge Luis Borges

 

Bizarre ce roman, kafkaïen certes, à la fois un portrait pathétique de la vie banale et incolore, « une vie en somme. Plus commune qu’une fosse. Qui songerait à y jeter sa pierre ? » d’un couple citadin plutôt aisé et un dérapage surréaliste. Une alternance de passages vifs à l’humour caustique et percutant et de longueurs un peu mornes, alors que l’auteur – ou devrais-je dire le narrateur ? – qui en est sans aucun doute l’alter ego, est pourtant du genre bavard. Parfois trop, ce qui alourdit le récit. Aussi bavard donc que le personnage principal de cette histoire bizarre va devenir mutique. Le narrateur lui n’a rien à voir avec l’histoire finalement, si ce n’est d’être celui que son antihéros, Jean Nochez, va rencontrer – et rencontrer déjà est un bien grand mot –, disons côtoyer au Bar des Indociles Heureux, un de ces petits bars qui ne brillent pas par leur cachet, mais ont l’allure cependant de phare dans la nuit où viennent s’échouer des types en rade ou à la dérive, ce qui revient au même.

« Ah ça ! le bel asile que nous formions en vérité, le beau banquet de gueules brisées – et avec le sourire encore s’il vous plait ! Le rictus esquinté des candidats au cadavre. Oui, des échoués que nous autres. Des loques. Des vestiges ».

Mais pas Nochez. Ni en rade, ni à la dérive, enfin pas vraiment. Plutôt assommé par l’ennui, vidé de sens. Nochez, vendeur de timbres de collection de son métier – doit-on pour autant le qualifier de timbré ? – père de deux enfants et mari de Solange, qui travaille dans une banque. Lui, il a tout simplement et très soudainement quitté le navire, son propre navire, c’est-à-dire lui-même, et curieusement c’est arrivé après avoir acheté une vilaine maquette de goélette à un brocanteur lors d’un week-end en famille sur la côté bretonne. Cela peut rappeler quelques personnages de Paul Auster, qui sombrent soudainement dans une obsession et la poussent jusqu’au bout, jusqu’au plus absurde anéantissement d’eux-mêmes. Pour Nochez, ce sera de louer, sans souffler mot à personne, un appartement en face de chez lui. « Jean Nochez, en somme, était incapable de la chose qu’il venait pourtant d’accomplir. Chose qui dès lors, s’effaça tout naturellement de son esprit, à l’instar de ces rêves un peu trop étranges qui, contrits de nous avoir perturbés, ont la délicatesse aux premiers trilles de l’aube de quitter subrepticement le drap où l’instant d’avant encore ils se plaisaient à fouiller de leur dard tendre les zones de notre âme les plus intimes et de nous-mêmes les plus méconnues ». Un appartement quasi identique au sien, pile en face, qu’il oubliera d’abord puis commencera à investir secrètement en le tapissant de timbres et puis en l’encombrant de tout un bric à brac hétéroclite et inutile, que la goélette semble attirer dans son sillage figé et dans lequel il finira par s’engloutir lui aussi. « Immobile. Planté. Seul comme un clou ». Une goélette que Nochez nommera le Drakkar. Pour rien, comme ça, comme tout ce qu’il fera par la suite et surtout tout ce qu’il ne fera plus, comme rentrer chez lui, aller travailler, manger… Il aura bien un dernier élan vital quand il apercevra un homme dans la chambre de Solange, dans leur chambre. Un homme sur Solange et dans toutes sortes de positions gesticulantes derrière les rideaux refermés. Un homme qu’il voudra tuer. Mais ne l’a t’il pas déjà tué ? Le narrateur-auteur brouille les pistes, laisse un suspense, un mystère… « Là, eh bien je crois que je vais m’arrêter, si ça ne vous fait rien. Flingues et feux d’artifice, attentats, champagne, coups de tonnerre ou ballons d’anniversaire, j’ai toujours eu le tympan fragile et horreur des bruits d’explosion ». Il y aura cependant un épilogue qui donnera un éclairage philosophique à l’histoire toute entière, une morale à triple fond, une mise en abyme, ou plutôt en miroir, comme les appartements, face à face.

Un premier roman pas mal réussi donc qui fait au passage un clin d’œil à cette sublime chanson de Bashung, La nuit je mens.

 

Cathy Garcia

 

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A propos de l'écrivain

Pierre Demarty

 

Pierre Demarty est un écrivain, traducteur et éditeur de littérature étrangère. Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’anglais, il a été professeur de français à l’Université Columbia. Il quitte le monde universitaire, devient éditeur de littérature étrangère et entame une carrière parallèle de traducteur (de Joan Didion, Paul Harding ou encore William Vollmann). Il vit aujourd’hui à Paris avec sa femme et ses trois enfants.

 

A propos du rédacteur

Cathy Garcia

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)

Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse

Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié,  Actes Sud

 

Née en 1970 dans le Var.

Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.

A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com

Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes,  mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :

http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com

Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui  a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :

http://evazine.com/livre_art.htm