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Ecoute-moi mon fils…, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous 29.01.18 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

Ecoute-moi mon fils…, par Nadia Agsous

En cette heure solennelle de l’aurore bienfaitrice, ouvre bien tes oreilles hermétiques à la grâce de l’Amour et à beauté de la vie ! Ferme tes yeux qui s’écarquillent de stupeur devant le spectacle de la mort qui s’impose à nous avant même le lever du rideau de la tragédie humaine ! A l’heure où je te parle, des êtres sans tendresse, ni amour, regagnent les rives solitaires, de l’autre côté de nos vies orphelines ! Sois attentif à ma parole, cette herbe folle et clairvoyante qui raconte la légende heureuse des esprits libres et rebelles !

Ta naissance ?

Ah, ce jour béni par les astres flamboyants neufs ! Cette nuit-là, belle et magique, la lune noire avait été vaincue par les éclairs imprégnés par la couleur bleutée des feux follets. Aux confins de l’univers, les étoiles folâtres s’acoquinèrent avec le ciel bleui par les meurtrissures divines. Cette nuit de l’Amour, des oiseaux blanc-pureté, envoyés en éclaireurs, entonnèrent l’hymne de la « Joie Retrouvée » ; puis ils disparurent dans le mystère de l’obscurité lucide. Aussitôt ! Les notes de musique de ce chant aux sonorités allègres subjuguèrent nos sentiments bruts. Béatitude ! La vie frémissante de Beauté encore fragile re-naquit !

Moi ? Ta mère qui t’attendait comme un messie ? Moi ? La Mama, la giboyeuse des mauvaises nouvelles ? Les yeux larmoyants, le cœur flamboyant, j’étais agrippée à l’espoir de voir naître l’enfant de la Providence. Mon rêve voguait dans les cieux submergés par des promesses serties de joyaux d’amour et de tendresse.

Toi, Ô enfant du Destin scellé, sais-tu que ta venue au monde fut longue ? Nous attendîmes des heures et des heures ; nous guettions la porte du Monde d’où s’échappaient des bruits, des voix, des pleurs, des sanglots, des rires ; oui même des rires, des rires longs et moqueurs. Au fond de nos cœurs usés par l’inquiétude, des voix conteuses d’histoires, tisseuses de mots, disaient la grandeur de nos âmes nues. Nous attendîmes, encore et encore, lorsqu’au petit matin, ruisselant de buée bénite, tes petits pieds poussèrent la porte de l’origine du Monde. Mon fils, c’est avec tes pieds et non avec ta tête que tu te présentas à nous !

Le signe d’une anomalie ? D’une infirmité ? La marque d’un handicap ? D’une différence ? Ces questions voguèrent de bouche en bouche, elles dansèrent d’oreille en oreille ; personne ne put y répondre, même moi, moi qui m’empressais de tuer l’ignominie dans l’œuf avant même que la nuit sans feu ne rejoigne les limbes promises. Ces questions restèrent en suspens malgré ma soif de savoir. A ce jour !

Tu foulas la terre, belle et généreuse, avec tes pieds, symboles de mouvement et de liberté. Nous décidâmes de voir dans cet acte un signe de bon augure. Tu étais là, parmi nous, et le reste importait peu ! Les anges bénis te firent don de la pierre de la résilience, El fayruz ! Lorsque tu naquis, tu serrais dans ta petite main cette pierre de la turquoise, symbole du souffle vital.

Je ne te l’ai jamais dit, Ô mon fils ! Le jour de ta naissance, j’eus mal, très mal ! La douleur physique qui accompagna ta naissance creusa une fosse béante au fond de mon cœur. Pour la combler, j’eus l’ingénieuse idée d’y planter la racine d’une fleur, belle comme l’astre du jour ; une fleur que les savants de la botanique humaine baptisèrent Amour. Depuis ce jour, elle ne cesse de grandir ; tous les matins, à l’heure du lever du soleil, je l’arrose d’eau de pluie mélangée à du miel pur et à de l’eau de fleur d’oranger préparée par mes petites mains enduites de tendresse maternelle selon un procédé vieux de plus de mille ans. A présent, les racines de Amour, notre fleur commune, ont envahi la totalité de mon cœur qui veille sur la paix de ton âme.

Mon fils !

Tu naquis dans le berceau de l’Innocence, à l’aube d’un mois de décembre imprégné d’une lumière douce et féérique. Les premiers instants de ta présence au monde furent annoncés par un merveilleux chant à la gloire d’un monde de merveilles paré. Les rêves de cette aurore enfantèrent des milliers d’anges blancs ; ils investirent la terre et l’imprégnèrent d’une lumière enchanteresse qui habita nos corps et illumina nos cœurs.

« Ass assaâdi-Ass assaâdi-Ass assaâdi » répéta l’écho du vent qui soufflait sur les toits de nos maisons.

« Jour heureux » renchérirent les enfants qui jouaient en toute liberté dans le vaste jardin de nos espoirs en devenir.

A l’aube porteuse de gaité et de bonheur, nous t’accueillîmes dans la joie et dans la liesse. Les êtres de la Destinée, dotés de pouvoirs divinatoires, te bénirent dès le commencement de ton existence.

La famille se rassembla dans la pièce des Sensations ardentes, et là, hommes et femmes, nous nous laissâmes emporter par le tourbillon de notre joie vertigineuse. Ensemble, nous criâmes notre amour pour la vie belle et furieuse. La fête dura sept jours. Et toutes les nuits, dès que la lune faisait son apparition, nous criions d’une seule voix qui retentissait jusqu’aux confins de l’au-delà :

« Dans la beauté de cette nuit sertie de couleurs chamarrées, nous allumerons le feu sacré ; nous écouterons le babillement des oisillons qui parlent la langue de nos espoirs déchus ; nous cueillerons le tumulte des remous des mers déchaînées et nous baguenauderons sans contraintes ! ».

Pendant que tu venais au monde, tu laissas échapper un rire, salvateur, long comme le souffle matinal du Monde.

Vagissement !

L’écho du vent qui soufflait allègrement, répéta à tue-tête :

« Mabrouk ! Mabrouk ! Mabrouk ! Mabrouk ! Mabrouk ! Mabrouk ! » (1)

Avant de couper ton cordon ombilical, ce talisman de la Naissance Heureuse, j’ai lu, trois fois, le chapitre II du grand livre de la « Joie Eternelle » qui raconte la fabuleuse histoire de la fleur d’or qui aveugla le dragon noir à douze têtes. Dès l’engloutissement de la bête immonde dans la brume ténébreuse, la fleur au cœur d’or épousa le soleil. Il paraît que cette légende porte bonheur aux enfants qui naissent à l’heure du lever du soleil. Ce texte, je l’ai lu à voix haute, deux fois, devant une assemblée de femmes qui enchantent par la fougue de leur beauté et la fulgurance de leur esprit libre. Je voulais célébrer ta naissance en présence de ces êtres, diffuseurs de joie et porteurs de lumière.

Lorsque l’obscurité disparut dans les confins de l’horizon incarnadin, ma voix s’arrêta de se mouvoir. Dans la pénombre de la chambre en or où les Anges de l’heure bénie me dépouillèrent de mes artifices, je me suis déshabillée. J’ai enduit mon corps d’un liquide au goût de miel secrété par la Reine des Lumières. Le corps et l’âme nus, je me suis regardée dans le miroir des Âmes Miroitantes, relique de la chance blanche. C’est alors que je fus investie du don de la grâce et de la sagesse.

« Tiens ! Prends ! Et ne pose surtout pas de questions ! Te voilà devenue Oum Ibnek ! (2) Va, et n’oublie surtout pas de faire bon usage de ces deux dons du ciel ! »

Ainsi parla la mère des Anges de l’heure bénie. Lorsqu’elle m’adressa ces quelques mots, elle était invisible. Quand elle eut fini de dire, elle devint une colombe aux yeux de biche. Elle creusa la terre et y installa son nid.

Dans le creux du silence de l’aube nue, ton vagissement sonnait comme un appel à explorer la vie et ses infinies splendeurs.

Dès la première nuit, conformément à la tradition ancestrale, j’ai oint ton petit corps d’huile et de sel, pour éloigner les djinns et exorciser les démons qui rôdaient par milliers autour de notre demeure construite par des hommes forts, sur un marécage où la boue et les eaux stagnantes, infectées d’insectes maléfiques, ont formé une substance nocive qui a gangréné les fondations mentales de cette grande bâtisse qui abrita tant d’âmes écorchées !

Trois jours après ta naissance, lorsque le soleil acheva d’inonder la terre belle et généreuse, des rires tonitruants retentirent dans la chambre de tes commencements. Une succession de « hahahahahaha hah aaahahaha ahah hihihihi hi hihi hi » inonda nos tympans. Je me souviens encore de l’écho de ces appels à la vie qui résonnèrent loin, très loin, jusque dans le souffle de l’écho matinal.

 

Nadia Agsous

 

(1) Félicitations

(2) Mère de ton fils

 

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Rédactrice


Journaliste, chroniqueuse littéraire dans la presse écrite et la presse numérique. Elle a publié avec Hamsi Boubekeur Réminiscences, Éditions La Marsa, 2012, 100 p. Auteure de "Des Hommes et leurs Mondes", entretiens avec Smaïn Laacher, sociologue, Editions Dalimen, octobre 2014, 200 p.

"L'ombre d'un doute" , Editions Frantz Fanon, Algérie, Décembre 2020.