Échappées, Pierre Péju (par Stéphane Bret)
Échappées, Pierre Péju, Gallimard, 273 p. 21 €
Ecrivain(s): Pierre Péju
Comment évoquer la Résistance, l’Occupation, les attitudes du peuple français, sans risque de retomber dans une description manichéenne et unilatérale de cette sombre période de l’histoire de France ? Pierre Péju, dans son dernier roman Échappées, parvient à éviter cet écueil et à renouveler quelque peu le genre.
Nous sommes à Lyon, en octobre 1942. Une entreprise, Au déménagement moderne, réalise très ordinairement un déménagement, et aussi la cache de biens de Juifs en fuite car son patron s’est engagé dans la Résistance. Au cours de ce déménagement, son personnel découvre une enfant, Stella Wirst, cachée dans une mallette ; elle s’est dissimulée dans cette dernière après l’arrestation de ses parents, Juifs alsaciens originaires de Strasbourg.
Ce patron a engagé Aimée comme secrétaire, en raison de sa maîtrise de la technique de la sténodactylographie.
Les personnages sont décrits par Pierre Péju par leurs antécédents, leurs motivations naturelles, le caractère parfois évident de leurs choix.
Ces traits moraux prennent une résonance particulière lorsque Pierre Péju rappelle les caractéristiques de cette époque : « Une époque où le sordide pouvait déborder comme un égout et mélanger ses liquides fétides aux eaux noires de tant de drames humains. Oui, c’était comme ça, le grand mélange de l’abject et du généreux. »
Aimée, cette secrétaire, va s’attacher à Stella, d’une manière très graduelle, presque insidieusement, jusqu’à l’exfiltration clandestine de Stella vers la Suisse. Cette proximité provisoire avec la jeune fugitive va révéler, aussi, un désir d’enfant jusque-là ignoré.
Le patron, comme ce personnage est nommé dans le roman, avait déjà été révolté par les accords de Munich en 1938, et avait repoussé le communisme dans sa version stalinienne. Il avait prouvé sa capacité à agir en homme libre. Aimée a un point commun avec son patron : elle n’accepte pas de s’accommoder avec le pire ; elle accepte naturellement l’accomplissement de tâches dangereuses : « Autre chose que le travail d’une secrétaire. Comme remettre certains paquets à de mystérieux inconnus. Ou glisser dans la poche de son manteau la clef qu’on lui avait remise, s’introduire dans telle allée obscure, ouvrir une boîte aux lettres munie d’un nom fictif, s’emparer de l’enveloppe qu’elle y a trouvée et repartir bien vite ni vue ni connue. »
Ce qui séduit dans ce roman, c’est l’épaisseur humaine de ses personnages principaux : le patron de l’entreprise, dont l’action est éclairée par son passé d’avant-guerre, Aimée, dont le désir d’indépendance et d’émancipation, est présent depuis sa prime jeunesse et aussi Stella, dont l’attachement à la vie est fragilisé par la nécessité de la fuite, par la permanence de l’exil jusqu’à son arrivée au Canada, au sortir de la guerre. Stella, même à l’abri, sera vulnérable, en proie au doute sur la justesse de ses choix : rester avec sa famille d’accueil, s’évader, rejoindre ses parents ?
Échappées est un roman passionnant qui explicite les conduites des êtres humains lorsque ceux-ci sont confrontés au caractère tragique de l’Histoire. Et ces choix ne sont jamais le fait du hasard.
Stéphane Bret
Pierre Péju est l’auteur de nombreux romans, parmi lesquels Naissances, La petite Chartreuse, prix du livre Inter 2003, Le rire de l’ogre, prix du roman Fnac 2005, L’état du ciel, Reconnaissance, L’œil de la nuit, Effractions, et d’essais, notamment Enfance obscure, prix des Écrivains du Sud 2012 .
- Vu : 136

