Destiny, Pierrette Fleutiaux
Destiny, avril 2016, 192 pages, 19 €
Ecrivain(s): Pierrette Fleutiaux Edition: Actes Sud
Le nouveau récit de Pierrette Fleutiaux est mené comme une enquête policière empreinte d’émotion : « Dès qu’elle tente d’y voir clair dans la vie de Destiny, Anne se heurte à des questions en apparence banales mais qui soulèvent aussitôt toutes sortes d’autres questions ».
Dans cette relation improbable qui se noue, il faut abandonner la raison, lâcher prise, renoncer à comprendre au sens cartésien du terme. Seuls l’intuition, la confiance, la ligne de démarcation entre le bien et le mal fondent la complicité entre deux femmes que tout semble opposer : Anne est française, blanche et éduquée, Destiny est une réfugiée nigérienne qui a traversé la Libye et l’Italie, qui ne maîtrise pas le français, parle mal l’anglais et semble ne connaître aucun des codes nécessaires à l’adaptation dans un pays occidental comme la France. Mais ce qu’Anne pense profondément en son for intérieur, c’est que : « s’il est en chaque être une sorte d’axe moral qui ordonne sa vie, celui de Destiny est d’une parfaite droiture.
Pour le reste, vérité et mensonge ne sont pas des concepts de référence très utiles quand on côtoie les miséreux du monde ».
Toutefois, l’incompréhension et la difficulté à communiquer sont présentes de bout en bout du récit : « Anne entre dans l’un de ces tunnels d’incompréhension qui l’avalent parfois lorsque Destiny est dans une mauvaise passe : agitée, malheureuse, déprimée ou fatiguée ».
Ce qui, au fond, sauve Destiny (dont on ne sait trop si c’est son vrai prénom), c’est qu’elle croit dur comme fer en son destin, qu’elle s’accroche, dans les pires obstacles et épreuves, à la vision d’un avenir radieux. C’est ce que psychologues et psychiatres appellent la résilience. Destiny en est pourvue plus que de raison.
« Destiny ne “voit” pas qu’en rêve. […] Elle a foudroyé du regard les agresseurs de leur camion, parce qu’elle voyait une image d’elle-même au-delà d’eux, au-delà de ce moment terrible où elle aurait pu être tuée, elle se “voyait” vivante le lendemain et les jours suivants jusqu’à ceux de son arrivée en Europe. Elle avait un destin.
Destiny croit en la force de son esprit ». Ces mots reviennent comme un leitmotiv dans le récit : « Destiny croit en son destin et en la force de son esprit ». Et elle a donné à sa fille le prénom de Glory. Mais Destiny souffre de la maladie de la migration. Quelle est-elle, cette maladie, cette forme de nostalgie ou d’inadaptation au réel qui abat et rend dépressif ?
« […] l’interprète doit en voir tous les jours, de ces migrants et de ces migrantes, souffrant comme Destiny de la grande maladie de la migration, celle qui aggrave toutes les autres maladies, qui est incurable et que pourtant, ici, dans ce centre Georges Devereux, on s’efforce, on essaie, on tente de soigner ». Après l’hôpital, la clinique, les hôtels, l’entreprise occupée, l’ethnopsychiatrie est alors considérée comme l’ultime remède, l’ultime combat livré par la battante Destiny, dont ce roman, très contemporain, écrit au présent de narration, véritable chant d’amour et d’espoir, prend en main le destin.
Sylvie Ferrando
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