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Défunt amour, par Nadia agsous

Ecrit par Nadia Agsous 16.05.16 dans La Une CED, Bonnes feuilles, Ecriture

Défunt amour, par Nadia agsous

 

De : elle2000@yahoo.fr

A : man43@wanadoo.fr

05 mai 2009

3h56 mn

 

Défunt amour,

Mon sexe ne danse plus. Mes reins ne cambrent plus. Mes seins ne se dressent plus à l’évocation de l’image de toi. Et c’est dans le désert du désir de toi que je t’écris ce mail.

Mon dernier mail.

Voici venu le temps de tourner le dos à cette histoire folle qui m’a longtemps tenue en laisse.

Notre Histoire !

Celle qui ne cessait de m’enfoncer dans la boue de la dépendance.

Hélas ! Défunt amour ! Ma destinée me suit et me poursuit. Il me faut partir. Tirer le grand rideau de cette pièce de théâtre qui s’est jouée à huis-clos. Et fermer la porte à tous ces démons qui ont nourri ma défaite. Mais avant de tourner la page de cet acte de ma vie, il me fallait t’engloutir dans les profondeurs de mes angoisses.

Cela fait cinq jours que je t’ai enterré dans le jardin des senteurs de notre terre natale. Seule, dans le froid, sous la pluie battante, le corps fiévreux, la tête prise dans le tourbillon de la douleur, j’ai enseveli ton corps dans la terre mouillée par un mélange de pluie et de rosée du petit matin. Je me suis assise au bord de ta tombe. Et j’ai pleuré en pensant à cette phrase du poète palestinien Mahmoud Darwich :« J’ai maudit le lieu il n’y a pas de place pour nous »

Oui. J’ai pleuré. Sans honte. Il me fallait exorciser le désespoir et le déchirement de toi. Et lorsque mon corps s’est vidé, je me suis levée. J’ai tourné le dos à ta demeure éternelle dans ce jardin où reposent depuis des lustres les hauts dignitaires qui ont bâti la vieille ville d’Alger. Et m’en suis allée rejoindre l’autre partie de ma vie qui m’attendait au coin de la rue où je fus témoin de la grande révélation.

J’avançais à pas lents et lourds quand soudain une douleur vive prit mon pied gauche d’assaut. Deux sentiments qui m’attachaient encore à toi, gros comme deux grenades, s’accrochaient désespérément à ma cheville gauche. Ils pleuraient. Criaient. Suppliaient. Ils parlaient une langue hachée d’une désolante incompréhension entrecoupée de plages de silence déprimant.

Le cœur en peine, j’ai suspendu ma course vers ma nouvelle vie. Je me suis baissée. Et dans un geste lent et tremblant, je les ai cueillis. La pluie avait cessé. Le soleil brillait de tous ses éclats.

Le creux de ma main était devenu le théâtre de gémissements et de lamentations. Devant ce spectacle des plus angoissants, une violente envie de pleurer envahit mon cœur. Doucement, tendrement, j’ai porté les deux sentiments à mes lèvres. Puis je les ai déposés dans le fond de mon sac. Lentement.

J’ai tourné le dos à la nouvelle vie qui m’attendait avec impatience. Et je me suis retournée sur mes pas qui devaient me mener vers ta tombe, ce lieu où j’avais enseveli les derniers souvenirs de toi.

Stupéfaction !

Aucune trace de ta nouvelle demeure ! Elle avait disparu. Trois fleurs de tournesol se donnaient sans pudeur aux rayons du soleil qui parlait la langue des amants en pleine volupté. Affolée, j’ai creusé la terre. Et dans ma hâte, j’ai jeté ces deux sentiments qui m’attachaient à toi, déterminée d’en finir avec cette histoire d’amour décomposée, vouée à la disparition dès sa naissance.

Alors que je commençais à entamer ma déambulation vers cette nouvelle vie qui mourait d’impatience de me parer de ses plus beaux atours, j’ai encore une fois interrompu ma marche vers l’autre face de mon existence.

Je suis revenue sur le lieu où j’avais enseveli ton corps, l’objet de ma jouissance jusqu’à l’ivresse. Je me suis déshabillée. Ai jeté ma robe et mes dessous dans cette motte de terre qui servait de tombe aux deux sentiments enterrés vivants.

Nue. Comme au jour de ma naissance. Je me suis allongée sur la terre asséchée par le soleil. Et me suis laissée porter par la musicalité des rythmes des va et vient de l’ombre qui glissait doucement sur les parois de la lumière qui cherchait refuge dans le cœur des fleurs du tournesol.

J’ai dormi.

J’ai rêvé.

J’ai joui.

Sous l’effet des caresses du vent sur ma peau.

Et lorsque les étoiles ont pris la forme de la lune, j’ai sollicité la bénédiction des forces mystérieuses qui peuplent cet univers et je m’en suis allée poursuivre mon périple vers les contrées inconnues.

J’ai marché.

J’ai erré.

C’est ainsi que je m’en suis allée du côté où le soleil se lève. Puis je suis revenue là où il se couche.

Oh, je le sais ! Je passerai ma vie à faire des va et vient entre le Levant et le Couchant. Jouissant ça et là.

Défunt amour, c’est dans la langue de ma mère que je t’ai porté sur un piédestal. C’est dans la langue de mon père que je t’ai idéalisé. Et il a fallu que je te désacralise. Que je trouve ma propre langue. Que je l’invente. L’imagine. Et l’accouche au forceps. A présent, elle me triture. Me masse. Me fait mal. Mais elle est partie intégrante de moi.

En t’écrivant ce dernier mail, je prends conscience que je ne serai qu’une femme de passage. Ma vie sera faite que de ponts, d’aéroports, de gares, d’arrivées, de départs, de fuites, de retours, de fuites.

Encore.

Et encore.

Je transporterai mon corps partout. J’irai sur les routes. Libre ! Revenant sans cesse sur mes pas effacer toute trace, toute empreinte laissée derrière moi à l’image de ces pas qui gravent leur présence sur le sable pour aussitôt disparaître dans le mystère de l’Absence. Et à mon tour, je m’engloutirai dans les silences de l’inconnu.

Adieu

Adieu

Défunt amour

Ma souffrance de toi. Ma douleur de ta lâcheté, mon déchirement de ton absence m’ont guidée dans mon deuil de toi.

JE SUIS SEULE POURTANT JE N’AI PLUS PEUR.

Et pendant que cette histoire d’amour enterrée dans le jardin des Senteurs de la terre natale, le lieu des commencements et des aboutissements, cherche inlassablement à se frayer un chemin dans l’obscurité des souterrains de la vie, le beau au cœur dormant se réveille lentement de son long sommeil.

Et elle, légère et libre comme une feuille, dans le silence de son refuge parisien, face à son ordinateur, ses doigts tremblants mais déterminés, viennent de cliquer maladroitement sur la touche « envoyer ». Et avant d’éteindre sa machine et d’aller retrouver un peu de repos dans son grand lit froid, elle décide de jeter un coup d’œil aux courriers indésirables.

Et là…

Là !

Sous ses yeux lourds de sommeil, parmi une vingtaine de messages électroniques, la présence d’un mail complètement imprévu…

De : man43@wanadoo.fr

A : elle2000@yahoo.fr

01 mai 2009

24h15 mn

Chère toi,

Tu me manques cruellement.

Les démons qui peuplent mon être sont à présent ensevelis dans la terre moite de mes désordres intérieurs. En ce mois de renouveau, renouons les fils de cette histoire rompus indépendamment de ma volonté.

Retrouvons-nous demain à dix-huit heures trente sur le pont Saint-Louis. Ce lieu où tu fus révélée à moi dans une existence qui se débat dans des points d’interrogation laissés en suspens.

Et dans ma solitude éclairée par l’obscurité de la nuit fuyante et la lueur du petit jour naissant…

JE SUIS SEULE POURTANT JE N’AI PLUS PEUR.

 

Nadia Agsous, in Réminiscences, Editions Marsa, 2011

 

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Rédactrice


Journaliste, chroniqueuse littéraire dans la presse écrite et la presse numérique. Elle a publié avec Hamsi Boubekeur Réminiscences, Éditions La Marsa, 2012, 100 p. Auteure de "Des Hommes et leurs Mondes", entretiens avec Smaïn Laacher, sociologue, Editions Dalimen, octobre 2014, 200 p.

"L'ombre d'un doute" , Editions Frantz Fanon, Algérie, Décembre 2020.