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Clore (6), par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres 11.12.15 dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

Clore (6), par Didier Ayres

 

Il n’a pas de métier, il est très pauvre, et en plus il a une sérologie positive. Moi, je m’inquiète.

Ils ne travaillent pas chez Dassault aviation ?

Pourquoi ?

Ces tee-shirts orange.

Moi, je les trouve New Age.

C’est une des bizarreries médicales que j’ai pu voir lors de ma carrière. Une affection silencieuse depuis 35 ans, et que l’on parvient à soigner.

Hépatite ?

C.

Tu connais la galerie Gagosian ?

Tu veux rire. Matignon.

De Noirmont !

Un flacon. Une fiasque. Une bouteille. Une cruche.

De quel signe ?

Coq de métal.

Chat de bois.

C’est bizarre cet accent qu’elle a. Tu as remarqué ? Moi, mon accent ne change pas. Cela vient non pas de ma langue maternelle, mais de ma région. Quelque chose du nord, un filet d’accent nordiste. Mais, elle, c’est norvégien, heurté. C’est surtout cette petite manière de prononcer le S ; oui, cela traîne, S-. là ça ne trompe pas. On voit que c’est un accent national. À moins que cela soit dû à un peu d’alcool, et le S alors devient ZEU-. Mais c’est beau ; oui, l’accent norvégien. Le ZEU ! La syllabique qui va avec.

Et elle, alors ?

Norvège. Danemark ? Non, Norvège, c’est sûr. Le ZEU-.

Elle était d’ailleurs au colloque de Cerisy, sur l’apologétique scandinave ? Ou bien, à Royaumont, sur la réception de Derrida en Suède ? J’ai trouvé que c’était très prétentieux, bavard, surtout avec toute l’escorte des structures de la pensée luthérienne.

Rien.

Quoi ?

Rien.

Deux fois deux ?

Quatre.

Cinq fois huit ?

Quarante.

Elle a un appétit d’oiseau. Elle picore, des graines, tu vois ?

L’Homme est mort. Mozart est mort. Dieu est mort. Et Dieu avant l’Homme. Vive l’homme de Mac Luhan !

S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là.

Il faut se méfier.

Dans sa thèse, il y a le before et l’after. Et c’est très jeune. Oui, l’ère électronique. La cybernétique. Il y a selon lui, une coupure entre avant et aujourd’hui. Quelque chose de radical.

Elle n’est pas un peu lunatique ?

Voilà, Papageno. Pa-pa pa-pa pa-papapapapa papageno.

Repète cela.

Le ZEU, ZEU-LA ?

C’est vrai qu’elle est d’une tribu Inuit ?

Pourquoi ?

Le ZEU-.

Prenez un peu de Bénédictine. Cela vous réchauffera.

Frère François, dites à nos hôtes ce que vous savez de Saint Ephrem, et ne cachez rien.

La nature. La science. Traduire. Ne pas omettre les racismes.

C’est tout ?

Oui.

Allemand ?

Non, Russe.

Elle ressemble à une alouette, toute dirigée vers le haut.

C’est la grande magie de l’Orthodoxie.

Oui, elle porte bien cela. L’Orthodoxie.

Une alouette ?

Oui. Un oiseau gai et pimpant.

Tope-là, je prends.

Frère François.

Je n’en peux plus. Je suis excédé. Je ne trouve plus. Je suis vide. Je dévisse.

Allez prier. Allez chanter. C’est l’heure. L’heure vespérale. Juste un goût. Un peu de liqueur. Une pointe de menthe. C’est comme une odeur. Une fragrance qui indique que le moment est saint.

C’est du langage des signes ?

Oui.

Et ils disent quoi ?

Je ne sais pas. Qu’ils sont ici par hasard, et qu’ils ont suivi un prêtre depuis le Lubéron.

L’être humain.

L’être humain est mort. Mozart est mort. C’est le désastre.

Il plaisante ?

Non, je ne crois pas.

C’est une opération de la mâchoire. Ou, le Zeu. Le Zeu de Tadeusz. Tu sais, le Suédois de Visconti. C’est le Zeu.

C’est une opération de la mâchoire.

Alors, j’avais raison.

Il n’avait rien. Il a vécu avec la perspective d’être toujours à flot. Toujours avec les meilleurs vins, les meilleures tables, les belles chambres d’hôtel. Il philosophait si tu veux. Alors, le moindre épicurien qui passait non loin, il devenait sérieux et prenait un air grave. Et puis, il y a eu des questions d’assurance-vie. Quelque chose de vraiment mortel. Il a fini par venir ici, avec cette opération de la mâchoire qui l’a cloué en Bourgogne une grande partie de l’année dernière. Et il est intelligent, vraiment intelligent, mais mortel. Il croit maintenant à la métempsychose, au mesmérisme, au pouvoir des idoles, de fétiches et de la sorcellerie. Ça fait peur en un sens. Oui, c’est mortel.

Il disparaîtra corps et biens. Lui aussi. Et moi avec. Rien. Ni fleurs ni couronnes.

Non, il croit au suicide, aux vertus de la mort provoquée, tu sais comme Mishima et son suicide rituel. Il croit vraiment. Pourquoi tu ris ? C’est pas mécanique ces choses-là. Une opération de la mâchoire, une microchirurgie faciale. Le grand voyage vers la contrée de l’hypnovel, si tu veux. Mortel. Il finissait une thèse sur les effets de la consommation de benzodiazépine à long terme. Il fêtait toujours la saint truc et la saint machin. Non, c’est un type bizarre. Hédoniste et désespéré. Oui, je sais, je parle trop. Mais il y a à dire. Mortel, voilà tout. Il n’avait rien à faire à Sens. Toute sa famille habite le grand ouest. Mais il suivait de près les travaux d’un professeur de l’université de Bourgogne, ce qui a fait beaucoup jaser. Parce que c’était une amitié très, disons, mortelle. Un simple regard, et il s’enflamme. Il aime la vie, si tu veux. Les pointes de la nuit, avec des fêtes sombres et noires, des alcools violents et capiteux. Des étourdissements. Mortels. Et je vois le même humanisme au fond de ses yeux, une chose qui ressemble bien à une lutte, à un combat, des idées, des humanismes. C’est beau quand même de côtoyer le danger, pour le bien des autres.

Il est insolvable.

Lui ?

Oui. On ne peut rien.

Saint truc et saint machin. Il est rigolo, lui.

Des dettes.

Lui, sa famille, la famille de sa femme, ses oncles de Périgueux. Personne de solvable.

Sa maison à Pointe-à-Pitre ?

Rien, ça ne vaut rien, bourré d’hypothèques.

Modeste, mais sûr de lui.

C’est le film. Attends : « La Baie avec l’ange » ? « L’ange de la baie » ? Non : La baie des anges.

C’est ça !

Mortel.

Il écrit des spectacles ?

Il paraît. Rien.

Et son professeur de médecine ?

Il enseigne à l’institut théologique protestant de Paris. Il a abandonné sa chaire de médecine, et il fréquente une abbaye du pays de Cau, très fondamentaliste.

Regardez.

De la poésie ?

Oui, de la poésie. De la pure poésie.

Frère François, frère René, frère Baptiste. Allez. Montrez encore. Cela plaît à nos hôtes. Montrez. Allez.

Mortel.

Art sacré.

Là, tu vois, un plan américain.

Et puis, il est tard.

 

A suivre


Didier Ayres

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A propos du rédacteur

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.