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Carnets d’un fou XLVI Novembre 2016, par Michel Host

Ecrit par Michel Host le 24.01.17 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Carnets d’un fou XLVI Novembre 2016, par Michel Host

« Avez-vous remarqué que, dans ce monde, Dieu se tait toujours »

(A. Gide, Les Faux-monnayeurs)

« On ne voit pas à quoi pourrait penser un dieu ?

Et si créer lui est peu de chose… »

(P. Valéry, Mauvaises pensées & autres)

#. Selon la bergère protestante qui sur France Culture ce dimanche matin m’enseigna la prière par temps difficiles et vents contraires, si Dieu ne répond pas et, qui plus est, ne répond jamais, c’est qu’il m’invite à la patience. Je ne dois pas me contenter de croire, je dois avoir foi en lui. Le prophète Habacuc m’y inviterait lui aussi. La seule fois de ma vie où je l’ai prié, parce que la nécessité était vitale – la survie d’une enfant à peine née en était l’enjeu – il n’a rien voulu entendre. La camarde a effacé cette vie, et c’était ma vie. Au fait, il s’en fout. Il ne s’abaisse pas aux tâches ménagères. Depuis, prier me semble une stupidité. Lui n’a plus aucune raison de ne pas faire la sourde oreille. Dieu est un faux-semblant, un trompe-l’œil. L’INUTILE.

#. Roger-Pol Droit voit le philosophe en marche, physiquement, sur ses deux pieds et ses deux jambes. Ou marchant dans sa pensée, grâce à elle, à travers elle. Il nous explique la marche de l’homme comme une succession de déséquilibres et de rétablissements de l’équilibre, et ainsi de suite. L’observation n’est pas nouvelle, il le reconnaît. Ce déséquilibre est indispensable dans un premier temps, pour exiger sa contre-pesée, soit la pensée, ses explorations, sa progression. Seule façon d’avancer. Cette théorie est vraie, il me semble, et donc très stimulante. Mon esprit contrariant, volontiers oppositionnel, s’interroge au sujet de la démarche. Il ne trouve rien à redire à ce qu’elle fût d’abord la marche elle-même pour devenir ensuite le cheminement de la pensée, le parcours de la réflexion. Mais on peut tout mettre en discussion, n’est-ce pas, sauf si votre interlocuteur est un socialiste éclairé.

Le 6/XI (dimanche)

 

#. Je me souviens, comme c’est bête n’est-ce pas, des « sans-dents » dont M. Hollande parla avec mépris à sa maîtresse depuis lors congédiée. M. Hollande passe pour socialiste. Je me demande si un Jean Jaurès ou un Léon Blum auraient pensé et parlé de cette façon. Depuis, selon le système en vigueur depuis la préhistoire, la poussière a été poussée sous le tapis, on n’en parle plus. Vous rêvez mon ami, cela n’a jamais existé… Ah, si M. Sarkozy eût parlé dans les mêmes termes, que n’aurait-on entendu, que n’entendrait-on pas encore !

#. Ce mardi, les Américains sont en train de voter pour élire leur 45e président. Ils le font en se bouchant le nez, tant la campagne fut ordurière. Ils ont le choix, d’un côté, entre un gentleman des caniveaux, parvenu paranoïaque, dans les veines duquel coule la haine et dont on voit mal comment il pourrait gouverner ne se gouvernant pas lui-même (les femmes, on les attrape par la chatte !), et, de l’autre côté, une dame au sens dynastique bien assis, poupée Barbie vieillissante au sourire figé, gestionnaire imprudente de son courrier électronique et dont les veines, les artères, charrient les dollars. Le monde, être plus sensible qu’on ne l’imagine, sent que le monde va se porter de mieux en mieux. Le monde attend, les sondages affirmant que Mme Clinton a un brin d’avance sur M. Trump.

Le 8/XI

#. C’est fait. Les instituts de sondage se sont trumpés. Les Américains trumpèteront donc pendant quatre ans. Ils en ont eu assez d’être appauvris et qu’on leur dicte sans cesse ce qu’ils doivent penser et ne pas penser. Pas plus que de première présidente des États-Unis nous n’aurons de premier monsieur. Pauvre Bill !

Le 9/XI

#. Belle réflexion et définition du bobo (le bourgeois-bohême par Michel Guerrin (Le M du 22/X), à partir de diverses lectures : « Il habite en ville et glorifie la nature, mange bio mais ne comprend rien à l’agriculture, est favorable au libre-échange tout en exaltant la diversité culturelle, prend souvent l’avion mais veille à l’empreinte carbone, transforme un 5 pièces en loft et s’attendrit devant les boutiques des derniers artisans, vante l’école publique et met ses enfants dans le privé… etc. » « Il vote à gauche mais se constitue un patrimoine sur le dos des classes populaires ». Il pense évidemment comme il convient que l’on pense. Le grand quotidien hypocrite du soir serait-il en voie de radicalisation en faveur de la pensée libre ? On y laisse dire de ces choses, maintenant !

#. Ce samedi matin (Emission Répliques), Alain Finkielkraut met en présence les opposés, Alain Minc, de la gauche de carnaval, Patrick Buisson partout vilipendé pour droitisme excessif. On dispute de choses et d’autres. Quand vient la question de l’islam en France on s’interroge : la république peut-elle tolérer cette nouvelle « Église », car l’islam en est une ? Oui ? Non ? À quelles conditions ? Comment s’y prendre ? Pas un seul instant n’est posée la vraie problématique : quelle est la nature et le projet de l’islam, lesquels sont parfaitement décrits dans le Coran ? L’islam est une religion qui, dans le même mouvement, veut régenter la sphère spirituelle et la sphère sociétale. L’islam ne peut, par principe, ni ne voudra par contrainte doctrinale, s’accommoder des lois de la république, et moins encore de son principe séparateur laïque. Il est conçu pour les supplanter, les annihiler.

Le Coran n’est pas lu : on le comprend bien, car le lire c’est prendre conscience de ce que, in fine, la très vague notion du vivre-ensemble dont les âmes simples ont la bouche remplie et la cervelle bourrée, n’est qu’une fragile utopie.

Le 12/XI

 

#. Ce samedi 12/XI : La fin de semaine se prête au « pont », fuite traditionnelle des citadins vers les campagnes. Le samedi, néanmoins, n’est pas férié, mais la bibliothèque municipale J. P. Melville (rue de Tolbiac, XIIIe) reste close tandis que des jeunes gens font les cent pas devant ses portes vitrées. Au-dedans, personne, les employés municipaux sont aux champs. Étudiants et enfants de ce quartier « pourri » (selon le mot charmant d’une ex-amie) en sont réduits aux inepties télévisuelles, à la promenade sous la pluie glacée. Selon M.D.B. « une honte ». Je partage ce sentiment.

 

#. Dernières nouvelles et anciennes nouvelles recuites de l’arbre aux nouvelles :

§. L’école française va mal. Les résultats sont lamentables. Les pédagogues fous du ministère persistent dans leurs errements avec le projet de faire progresser l’égalité. Égalité dans la médiocrité. Ils le savent et le constatent. Ils persistent cependant. L’idéologue est un crétin qui progresse à l’aveugle, comme la taupe, comme le ver du bois. Imbu de raison, il marche contre la raison.

Avec le soutien frétillant et tiré à quatre épingles de leur ministre, Mme Vallaud-Belkacem, ils viennent d’arracher la première branche de notre culture originelle : massacre du grec et du latin au profit d’occupations de bricolages improvisées. Suivra, car il est déjà engagé, le sciage de la deuxième branche, celle des études françaises et de notre histoire de la chute de Rome à la fin du XVIIe siècle. On conservera comme on pourra les raisonneurs du XVIIIe siècle : impossible de faire autrement, on renierait ses propres fondements ? Nos nouveaux commissaires politiques ne pourraient le supporter.

On prétendra néanmoins faire des citoyens avec des ignorants. Ces reniements et ce paradoxe me laissent pantois.

 

§. M. Mitterrand, élu président en 1981, fut amoureux d’une jeune et jolie jeune fille qui lui donna une enfant. Longtemps il les dissimula toutes les deux et coucha ses confidences sur le papier dans une longue correspondance. La jolie jeune fille en fait aujourd’hui commerce de librairie. C’est merveilleux. C’est modernissime. La presse révérencielle, en état semi-cataleptique, au bord de l’orgasme, se répand en éloges et dithyrambes sur ledit livre. M. Hollande, notre actuel président, présida à la confection de son livre à lui, confiant ses pensées à deux journalistes, ne relisant ni ne corrigeant les épreuves de ce livre, s’y répandant en incongruités mortifères pour lui-même, ses derniers partisans et toute la presse révérencielle. Celle-ci ou bien se bouche le nez, ou risque un éloge ou deux, ou déclare abandonner la cause du grand maladroit. Tout est lamentable sous Son Incompétence.

 

§. Le M du 28/X. Titre : Biodiversité : 58% des vertébrés ont disparu en quarante ans. Nous irions vers les 67% d’ici à l’an 2020. C’est on ne peut plus rassurant. Déjà, nous vivons parmi les vers et mourons au milieu des asticots ! Pour ce qui est des humains, mes calculs personnels m’ont permis de constater qu’il ne reste plus parmi eux qu’un ou deux pour cent de vertébrés. Je parle des vertèbres de l’esprit et de la dignité morale… Oh, ils ne l’aiment pas ce mot de « morale », et c’est pourquoi leurs vertèbres ont fondu.

 

§. Les dirigeants africains ne veulent plus d’une justice de blancs. Ils quittent les uns après les autres la CPI (Cour Pénale Internationale). Après l’Afrique du Sud, la Gambie. La Cour est accusée des crimes habituels : esclavagisme, racisme, colonialisme rampant, manque de neutralité, etc. On se comprend mieux entre noirs, on sait à quoi l’on peut faire allusion, on sait ce que l’on taira soigneusement…

 

§. L’éditorialiste du M (22/X) préconise une extension des statistiques ethniques, actuellement ouvertes en France sous contrôle strict aux chercheurs, à certains statisticiens et en fonction de la nature de leurs travaux, ailleurs interdites au nom de « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Parmi les inconvénients de ce dispositif utopique : pour les prisons, par exemple, « l’absence de données précises  sur l’origine ou la religion des détenus favorise les approximations, les fantasmes et, au bout du compte, l’instrumentalisation politique de la réalité. L’occultation ou le déni sont les plus mauvaises manières de comprendre et d’agir ». Parfois le bon sens se substitue à la raison, à cette quête illusoire de l’égalité, laquelle n’a jamais existé nulle part, ni dans la nature, ni dans les capacités des individus, ni dans les forces diverses de la cupidité, ni dans les fortunes, ni dans les traitements subis par les plus faibles de la part des plus forts. On peut, on doit s’efforcer d’apporter les compensations indispensables, de corriger les injustices flagrantes. Vouloir faire davantage est impossible car il est évident que personne ne tient à être l’égal de personne. L’égalitarisme, en outre et selon mes expériences, aboutit à ne rechercher, mettre en valeur, faire exister aucune qualité singulière des uns et des autres. Médiocrité garantie pour les seules majorités. C’est cette médiocrité seule que les foules ambitionnent. Le dilemme est terriblement humain : je ne veux être l’égal de personne mais je ne tolère pas que personne me soit supérieur.

Héraclite l’avait fort bien compris (et plus tard Tocqueville) : « Les Éphésiens en âge d’homme feraient bien de se pendre tous et de laisser aux marmots, eux qui ont banni Hermodore, le plus capable d’entre eux, en disant : Que pas un seul ne soit le plus capable parmi nous. Sinon, ailleurs ! et chez d’autres ! » (Traduction d’Yves Battistini).

Hermodore avait conçu un système de défense pour sa ville ; il fut chassé et leurs ennemis vainquirent les Éphésiens.

 

§. Mauricio Garcia-Pereira, officiant à l’abattoir de Limoges, a le courage de dénoncer publiquement « Le sandale des vaches abattues avec leur fœtus ». Avec photos d’épouvante à l’appui (Le M. du 4/XI). Il a mis ses collègues en danger, certes. La direction de cet abattoir l’aurait limogé (c’est bien le mot qui convient ici !), solution préférée à une réforme des méthodes d’abattage dont personne ne veut entendre parler. Le profit est en jeu. On impose à des hommes d’être les auteurs de ces monstruosités. Monstruosité dans la monstruosité : ils doivent être des sous-hommes, semble-t-il, car aucun notable, aucun bourgeois n’accepterait de faire ce qu’on les oblige à faire. Sous mes fenêtres, à Paris, il se passe aussi des choses scandaleuses dans une entreprise appelée « clinique ». Elles concernent l’humain. Personne ne veut savoir. Si vous n’êtes pas d’accord, vous n’avez que le droit de vous taire ou d’être réprimé par une loi que nous prépare actuellement certaine dame Rossignol. Vomissons, mais en secret, chacun dans son coin. Ici, et sous peu, je serai passible de poursuites judiciaires. Cela s’appelle « liberté d’expression en zone rose finissante ! ». Hollywood nous préparerait un film émouvant et à grand spectacle sur ces choses de notre époque.

 

§. M. Erdogan fait arrêter, emprisonner à tout-va. L’islam sunnite doit triompher, le kémalisme (une forme de notre laïcité) disparaître. Il ne reste à ce dictateur qu’à ouvrir dans son beau pays des camps de travail, puis d’extermination pour opposants et pour Kurdes. Ainsi il se rapprochera de son imitable modèle, M. Hitler. Ici, qu’on me pardonne, je suis au bord de la stigmatisation ! La zone rose rougit, mais se retient, car le sujet est délicat, contradictoire.

 

§. M. Donald Trump a un grand succès d’estime. Ou bien plutôt d’estimation(s). Nos intellectuels explicateurs patentés du monde se déchaînent : Mme Julia Cagé (professeur d’économie) nous conseille la plus grande lucidité ; M. Pascal Bruckner nous en avertit : il ne tiendra aucune de ses promesses car il promet tout ce « Néron narcissique et libidineux », ce « papy braillard » : faut-il être grand clerc ou prophète pour une telle prévision ? M. Guy Sorman nous entretient de « la revanche des petits blancs »… M. Hubert Védrine, le seul à prendre en considération car il a l’intelligence et la connaissance concrète, voit ici l’avènement de « l’ère des insurrections électorales ». Jolie formule pour oublier les insurrections des piques et des barricades. Pour moi, papy braillard à la française, qui ne puis prétendre à l’intellectualisme ni aux fonctions prophétiques, seulement à l’observation et à la mauvaise humeur, j’attends de voir. Jusqu’ici j’ai constaté l’ascension fulgurante d’une vulgarité proprement américaine, épicière, marchande qui ne me laisse rien présager de positif. Comme on dit à Palos de Moguer, avant de traverser l’Atlantique, ya veremos.

 

§. On affirme que l’EI, l’État islamique, le parti de la mort et des égorgeurs, recule militairement. Alep se change en tas de gravats et de cendres. Des innocents, des vieillards, des enfants y meurent sous les bombes : ils ne sont que le peuple, après tout. Nos instances dirigeantes expriment leur profonde « préoccupation », voire leur désapprobation ! N’en font-elles pas trop ? Mossoul est difficilement reconquise. L’abcès va être crevé sous le scalpel des obus. Se souvient-on que lorsque l’on crève un abcès, le pus se répand, l’infection gagne des territoires qu’elle n’avait pas encore envahis, et d’abord ceux des esprits, esprits faibles cela va sans dire.

 

§. La sphère médiatique, journalistique, du fait de l’élimination de M. Sarkozy de la course à l’Élysée, se reconvertit dans l’anti-fillonisme : on tire à boulets rouges, quelques dispositions du programme de François Fillon le permettent. Un os à ronger tout neuf ! Un os bien sec par ailleurs, et indigeste, la cible est en bois dur et aucune affaire d’argent n’est pour l’instant attachée à elle. N’ayons crainte, on va bien lui trouver quelque vice affreux. Déjà a été « ciblée » sa gentilhommière de la Sarthe, sa vie rangée dans un couple uni et entouré d’enfants… bref, l’horrible famille traditionnelle. Ils ont même l’air d’aller à la messe dominicale. Dans le pays de rositude (Ah, Ségolène, comme je t’aime !) on est pour les traditions dans la charcuterie, l’art d’élever le vin, celui de gagner durement sa brioche et sa fortune sur le dos du peuple, mais surtout pas pour la famille. D’ailleurs, une famille, cela n’a plus de réelle existence, cela ne se conçoit plus, c’est vieillot, c’est rétro, c’est vintage, c’est du dernier réac !

 

#. Les grands Autistes de Libé, le quotidien qui entrave l’esprit, ont récemment titré : « AU SECOURS, JÉSUS REVIENT ! » C’était à propos de la victoire de François Fillon aux primaires des droites, lequel se présente comme catholique sur le plan personnel. Que n’ont-ils titré : « Au secours, Allah est là ! », celui à qui l’humanité doit plus de morts que n’en firent jamais les catholiques les plus sanglants, et, pour la France, durant ces deux dernières années, quelque 220 ou 230 morts. Et que leur a fait Jésus, qui ne fut qu’un fou-philosophe désireux de racheter leur insondable Bêtise ? Signé : Le Kouffar du XIIIe.

Le 28/XII

 

Rigolade house

Les duellistes, leurs témoins, leur public, tout ce petit monde fut accueilli au commissariat de l’avenue Daumesnil, bâtiment en rotonde, sis au numéro 80. La descente des fourgons cellulaires se fit dans un grand brouhaha de protestations de la part de ces messieurs poussés à la pointe des matraques, de plaintes de la part de ces dames. Elles n’avaient pas toléré d’être assises de force sur des banquettes de bois de châtaigner. Le sous-lieutenant Pinot, originaire des Charentes Maritimes, recommanda le calme, la discrétion, tentant d’apaiser le vacarme et les agitations diverses, car il était onze heures du matin, et un attroupement s’était formé sur le trottoir, composé surtout de chômeurs que leur défaut d’activité changeait en badauds. Dans un esprit parisien caractéristique, on invectivait tour à tour la police coupable de malmener les citoyens sans raison autre que son bon plaisir. Quant aux citoyens en question, dont on voyait clairement à leurs mines offusquées, à leurs vêtements, qu’ils venaient d’un autre arrondissement plus huppé que le XIIe, on les hua comme les mœurs exigeaient qu’on le fît, on les traita de sales bourges et de fils de p… L’affaire menaçant de tourner au vinaigre, le troupeau des acteurs et des témoins du délit supposé fut à nouveau poussé sans ménagement dans le commissariat, écrasé un moment contre les murs d’un long corridor puis projeté dans une grande salle d’attente où les reçut le Commissaire Déroulède en personne.

Le commissaire, un esprit bonhomme et peu enclin aux complications de tous ordres, réclama l’apaisement, autorisa un temps de repos, invita les dames à prendre place sur d’inconfortables fauteuils dont il attendait qu’on les remplaçât, ce qui était repoussé de mois en mois en raison du manque de crédits et de la rapacité des chefs de cabinet de la mairie. Ces paroles détendirent l’atmosphère car chacun put y reconnaître le sort commun et son propre sort liés aux insuffisances de l’État et de ses administrations. Un interrogatoire collectif commença, les duellistes, le Pr. Purgon et le comte des Immeubles-d’En-Face reconnaissant sans difficulté qu’en contradiction avec la loi, ils s’étaient livrés à un duel qu’on eût pu qualifier de ridicule et superflu si n’y était engagé l’honneur des deux combattants. Le commissaire Déroulède reconnut que la question de l’honneur ne pouvait être envisagée à la légère et que la société avait beaucoup perdu en termes de courtoisie, de prudence verbale, d’égards pour soi-même et autrui, depuis l’interdiction des duels et leur traitement par les tribunaux, juges, avocats et procureurs dont les fonctions essentielles étaient, par de lourdes amendes, de faire tomber de l’argent dans les caisses de l’État et dans leurs propres poches. Les occasions étant devenues rares de réunir tant de monde dans les locaux du commissariat, le commissaire annonça qu’en raison de la bonne volonté des deux contrevenants et de leurs témoins, on allait se contenter d’une brève déposition où seraient seulement mentionnés le rassemblement illicite de trente personnes sur une pelouse interdite au public, le regrettable décès d’un merle innocent dans une partie de chasse au pistolet relevant de l’imprudence ordinaire jointe à la méconnaissance du maniement des armes en plein air, les coupables se trouvant assez punis, l’un d’une douloureuse blessure au bras, l’autre d’avoir infligé ladite blessure à quelqu’un contre qui il n’avait rien de sérieux à reprocher. « Faiblesse des hommes ! s’écria le commissaire, et légèreté des femmes qui, toujours heureuses d’admirer le déploiement des forces viriles, n’avaient pas tenté de dissuader les adversaires ! » En conséquence de quoi et après en avoir averti M. Le Préfet, on ne dérangerait aucune cour de justice et l’amende s’élèverait à 50 € pour chacun des adversaires désormais réconciliés. Les hourras mêlés d’applaudissements (ou l’inverse), les rires, les bravos, félicitations et cris de joie montèrent de l’assemblée en un superbe vacarme. Il fut en outre décidé que l’on viderait poches et portefeuilles sur le champ en faveur des Œuvres de la police et que l’on irait commander le champagne et des meilleurs vins dans les cafés des environs. Ces généreuses initiatives furent réalisées instantanément, les tables rapprochées, les fauteuils poussés, une musique dansante ne tardant pas à encourager les plus agités aux sauts et gambades. Ce fut promptement une jolie fête, une sarabande, une foire qui n’eurent pas le temps de se changer en bacchanale car, les bulles aidant, il vint une pensée inattendue au Pr. Purgon : « Monsieur le Commissaire, lança-t-il tout à trac, n’auriez-vous pas quelque lien de parenté avec ce Paul Déroulède qui provoqua Georges Clemenceau en duel à propos de l’affaire de Panama ? C’est vrai, répliqua le commissaire déjà quelque peu pompette ! C’était mon arrière-grand-père ! Un homme courageux ! ». Purgon, complètement ivre, poussa l’avantage : « Courageux, je n’en doute pas, mais… mais plutôt maladroit, n’est-ce pas ? L’un autant que l’autre au demeurant ! N’échangèrent-ils pas six balles, à vingt-cinq mètres, sans la moindre égratignure ? J’en conviens, reprit le commissaire piqué au vif, et c’était chose courante à l’époque. Ce fut, oui, le 23 décembre 1892. Mais si vous le voulez bien, nous allons rejouer la scène : je ferai mon bisaïeul, vous ferez Clemenceau. Allez chercher les pistolets ! ».

La foule est inéducable et l’homme n’apprend rien. On rouvrit le coffret aux pistolets, l’attrait du sang s’exerçait sans retenue, on riait, on se congratulait, on se frottait les mains. Seule Cali de Montfort-L’Amaury éclata en sanglots : « Encore ? Encore ? Noooon !… » cria-t-elle sans être entendue tant le charivari était grand. Le couloir le plus long du commissariat fut dégagé, on se mit à vingt-cinq mètres, les pistolets furent chargés, l’ordre de tirer simultanément fut donné, on tira, le commissaire et Purgon roulèrent au sol en poussant plaintes et cris de douleur.

(À suivre)

 

Définitions-Eclairs

Odalisque : Forme au Levant d’un désir inassouvi. Violon d’Ingres. « Dans tes draps, tout froidi, marri / En longs soupirs me morfonds puisque / De moi comme de ton mari / Tu fais fi, ma belle odélisque ». Longtemps on crut ce couplet de François Mauriac ; on le trouve seulement dans les Fragments retrouvés de Claude Le Heurteur.

Œil : Cet organe permet de contempler le désastre. D’ordinaire nous en possédons deux (les yeux), ce qui n’enjolive nullement le tableau.

Avoir des yeux pour ne pas voir. Avoir des prédispositions au bonheur. / Avoir les yeux en face des trous. Être doué pour le malheur. / Coûter les yeux de la tête. Par chance, nous n’en avons pas dans le dos, ni sur les doigts de pied.

Oisiveté : Mère de la tranquillité. Aristote ne serait pas d’accord.

Opiums : Télévision, Sport, tourisme et, certes, les religions.

Opposition : Les membres d’une organisation farouchement décidés à conquérir le pouvoir détenu par les membres de l’organisation adverse – dite majorité – afin de susciter les mêmes calamités par des voies identiques qu’ils prétendront être nouvelles.

Or : Ordure dite valeur-refuge. Curieux, non ? Kaka en grec : Freud en a précisé la véritable étymologie. Ma psychologue attitrée a bien voulu me signaler que l’inventeur de la psychanalyse a plutôt prétendu que le kaka vaut de l’or et non l’inverse. Nous avons longuement débattu de ces nuances d’école.

Oracle : Prévision et annonce de l’inévitable. Escroquerie.

Ordonnance : Traduction d’un oracle, ou diagnostic, dont on espère retarder la réalisation par l’emploi d’une formule médicamenteuse optimiste.

Ordre : Toute forme d’ordre a pour socle la restriction et la peur de la loi de nature.

Forces de l’ordre. Canalisent les débordements populaires, atténuent la trouille bourgeoise. Elles sont appelées à hauts cris et détestées de même. L’ordre règne. Jamais seul. L’injustice lui fait cortège. / Mettre de l’ordre dans ses affaires. Preuve qu’il n’y en avait pas. / Ordre établi. Pas pour longtemps. / Ordre moral. Fondé sur l’idée des vertus que d’autres pratiqueraient. / Ordre social. Tais-toi, ne bouge pas, je gouverne. / Ordre religieux. Je crois. Tu n’es qu’un mécréant. Convertis-toi ou je t’égorge.

Orthographe : Selon Émile Littré et l’esprit de l’étymologie, on devrait dire et écrire orthographie. On dit bien orthographier. Par périodes fiévreusement hernaniennes on prétend la réformer dans un sens simplificateur pour flatter l’égalitarisme, la paresse des masses et leur goût supposé du seul utilitaire.

Os : Tomber sur un os est encourageant. Cela semblerait indiquer que les vertébrés n’ont pas entièrement disparu.

Osmose : Selon le Grand Larousse Universel, en langue soutenue, « influence réciproque, interpénétration ». Selon moi, en langue courante, syndrome de Panurge.

Oui : Forme obsolète d’acquiescement. De nos jours dites « OK », ou « C’est bon », si vous souhaitez être compris.

Ovation : Scène au cours de laquelle une foule dressée sur ses pieds (d’où la locution française standing ovation), par ses applaudissements, sifflets, borborygmes, trépignements, hurlements, ululements… dit sa joie reconnaissante à un individu qui vient d’améliorer de trois centièmes de secondes le record qui, demain ou dans trois ans, sera de nouveau amélioré de trois centièmes de seconde.

 

Fin du Carnet d’un Fou XLVI, de novembre 2016

Michel Host

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005