Camille mon envolée, Sophie Daull
Camille mon envolée, août 2015, 192 pages, 16 €
Ecrivain(s): Sophie Daull Edition: Philippe Rey
Écrire la douleur pour ne pas se laisser entraîner dans son cyclone destructeur, pour conjurer cette envie d’anéantissement qui habille chaque cri, chaque sanglot, quand la réalité vous ramène dans cet interstice d’un temps qui semble désormais s’être figé pour l’éternité entre l’avant et l’après. Écrire pour ne plus sentir dans sa chair ce lent écorchement à vif né du sillon de l’indicible. Écrire pour donner un semblant de continuité à ce qui ne peut plus en avoir. Écrire pour étoffer une vie qui a cessé et pour ne pas qu’elle soit oubliée. Écrire pour exorciser la perte, pour conjurer la mort, celle de son enfant qui vous laisse les entrailles vides, désertes et désertées.
C’est à cet exercice thérapeutique que se livre Sophie Daull dans Camille mon envolée. Un récit élégiaque en hommage à sa fille de seize ans emportée quelques jours avant Noël par la fulgurance mortifère d’une maladie pathétiquement mal diagnostiquée, quasi une erreur médicale par indifférence professionnelle. Les préparatifs du 25 décembre s’entrecroisent dès lors avec ceux de l’enterrement. Les joyeux Noëls font écho aux condoléances. La disparition de la jeune fille en tire d’autres de leur néant.
On pleure, on rit, on s’étreint, on s’embrasse, on boit jusqu’à s’abolir dans l’ivresse, on part, on revient, on continue à vivre le cœur cabossé et derrière l’écran grotesque des funérailles et de ses rituels, une dernière fête empreinte de tristesse, mais aussi de situations comiques, voire absurdes. Un ultime hommage des vivants à celle dont on accompagne la dépouille jusqu’à sa dernière demeure dans la solitude de la terre. Désormais, la vie des parents de Camille s’organise autour de la perte, du manque de celle qui leur donnait un sens. Les mois et le jour où tout en basculé forment une litanie calendaire. L’avenir se compte en anniversaires funèbres et en visites au cimetière. La vie continue dans ce naufrage interminable où Sophie Daull et le père – plus discret – de Camille et dont les yeux sont tissés du même bleu que ceux de son unique enfant, écopent tant bien que mal un chagrin qui ne les quittera plus.
La dernière page tournée au petit matin, on se demande ce que Camille – où qu’elle soit – pensait ou aurait pu penser de cette longue épitaphe d’une mère à son enfant. L’émotion est palpable et chaotique. Elle tourne sur elle-même, les mots et les phrases se répètent, lourdes ou maladroites. Tous les livres ne sont pas littérature.
Aurait-elle approuvé et compris ce qui en définitive, est d’une grande impudeur ? Faire son travail de deuil ou accomplir son devoir de fidélité revient finalement au même. Les mots nous transforment souvent en escrocs des sentiments. La mort nous renvoie toujours à la nôtre et à celles de tous les autres – ceux que l’on connaît comme ceux que l’on ne connaît pas – que l’on additionne, presque à notre insu, dans notre intériorité. Les visages se brouillent, les souvenirs deviennent des souvenirs de souvenir. Un kaléidoscope grinçant et douloureux qu’une odeur, une chanson, un paysage ou une photographie suffisent à faire vaciller dans l’incertain de la mémoire, si trompeuse, tellement trompeuse. La mort est cannibale, comme l’amour. La vie est une perpétuelle catharsis. Et c’est peut-être ce qui donne tout son sens et sa beauté à cette absurdité.
Mélanie Talcott
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