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Ainsi parlait, Léonard de Vinci (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 15.04.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen

Ainsi parlait, Léonard de Vinci, Arfuyen, janvier 2019, trad. Louis Gehres, 172 pages, 14 €

Ainsi parlait, Léonard de Vinci (par Didier Ayres)

 

Forces et formes de la connaissance

L’initiative de Gérard Pfister, directeur des éditions Arfuyen, de créer une collection capable de faire état, dans une synthèse du travail littéraire, d’un auteur important, joue son rôle ici pleinement. Les textes du célèbre peintre de la Renaissance, qui sont tirés de quelques 13000 pages où dessins, manuscrits, plans d’ingénieur ou d’architecte se côtoient à l’aventure, donnent un aperçu synoptique de l’univers intellectuel et artistique du créateur de La Joconde. Il en découle que le monde de Vinci est celui de la connaissance, offrant dans ses tentatives d’approche un univers stimulant, connaissance au sens strict et fort du terme. Du reste, le Quattrocento est déjà en lui-même un grand passage, le climax de la connaissance humaine, autant pour les arts que pour la science, voire la technique. De cela, Vinci se fait le miroir, interroge la mémoire, l’art, la vérité, le mensonge, la nature, la science, tout ce qui peut découler de la force de l’entendement.

Le feu détruit le mensonge – c’est-à-dire le sophisme – et restitue la vérité, en chassant l’obscurité.

Le feu doit être entendu comme ce qui brûle tout sophisme, ce qui découvre et prouve la vérité – car il est lumière –, ce qui chasse l’obscurité par laquelle toute essence est occultée.

Le feu détruit tout sophisme – c’est-à-dire toute erreur – et ne laisse que la vérité – c’est-à-dire l’orÀ la fin, la vérité n’est plus cachée.

Le choix de cette citation, que je saisis presque au hasard, montre la nature prolixe de la lecture de cet Ainsi parlait. Je pense que tout, dans ce livre, relève d’un caractère essentiel, quintessentiel, et scrute merveilleusement le texte original des codex aux 13.000 pages, et pousse à relire plusieurs fois le même fragment, pour s’imprégner de la pensée de l’auteur, autant philosophe que peintre ou écrivain.

Il faut ajouter néanmoins que la pensée de ce grand artiste ne se départit pas de l’imprégnation des livres sacrés, autant de l’Évangile que de la Bible (ProverbesLivre de la sagesseL’Ecclésiaste), ou encore de la philosophie chinoise, le Taoïsme notamment, ou peut-être d’un côtoiement des spiritualités hindoues. Donc, même si le siècle de Vinci – si l’on considère que son activité s’est étendue jusqu’à sa mort en 1519 – évoque l’éclat intellectuel de l’anthropocentrisme, du triomphe des idées de Galilée, ou de la marque violente de Giordano Bruno, le peintre reste un grand témoin et précurseur, une figure élevée de cette pensée neuve et riche – dont notre XXIème siècle est peut-être le chant du cygne. Et cela non seulement au niveau de la peinture, mais aussi au niveau de l’inventivité de l’ingénieur, du rationalisme du philosophe. On reconnaît sans difficulté ici et là derrière les lignes manuscrites de ses cahiers, la figure fameuse de sa Sainte Anne (qui a inspiré ce texte extraordinaire de Freud et sa faute de traduction que l’on connaît tous maintenant), et par exemple, le paysage étrange et pénétrant qui encadre La Joconde. Toutes ces figures de l’artiste cherchent le fondement du réel, et finissent par composer un manuscrit, l’ébauche d’un instrument, la préparation d’un dessin, etc. L’ensemble revient à exprimer la force de la connaissance, sa violence en un sens, la quête du noyau des choses, l’issue d’une intuition ou d’une idée, l’expression d’un concept ou d’une intuition.

L’expérience ne trompe jamais : seuls nous trompent nos jugements lorsqu’ils en attendent des résultats qui ne relèvent pas de notre expérience […].

L’artiste est poète en prônant l’exactitude expérimentale de la science, sans délaisser les arts ; c’est une vraie prouesse de se trouver sur les deux rives de l’art : l’intellection et la prémonition, la matière et l’esprit, l’expérience et l’inconnu. Et puisque j’écrivais dans mon titre le terme de « forme », j’aimerais, avant de citer une dernière fois quelques lignes du Léonard de Vinci écrivain, le rapprocher du philosophe et mathématicien René Thom qui a trouvé cette formule radicale – en tous cas qui résout en partie l’ambiguïté de l’idée et de la forme chez Platon et Aristote – qu’il expose simplement en ces mots : le bord, en somme, c’est la forme. Il est du reste intéressant de voir convoquer ici, pour écrire quelques réflexions sur Vinci, la référence à un homme à la fois mathématicien et épistémologue.

Comme, par manque d’exercice, le fer rouille et l’eau pourrit ou gèle à cause du froid, de même l’intelligence, si elle n’a pas d’exercice, dépérit.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.