À la recherche de Céleste Albaret, Laure Hillerin (par Jean-Jacques Bretou)
Ecrit par Jean-Jacques Bretou 04.03.22 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Flammarion
À la recherche de Céleste Albaret, Laure Hillerin, septembre 2021, 510 pages, 23,90 €
Edition: Flammarion
C’est d’abord avec réflexion et circonspection, puis résolue que Célestine, dite Céleste, Gineste, née en 1891, épousera le 28 mars 1913 Odilon Albaret, chauffeur de taxi de son état. Lorsque la grande jeune femme d’un mètre soixante-douze un peu languide, apathique, est menée par son frère Paul à l’autel, elle ne sait pas quel est l’auteur du « petit bleu » que le facteur vient de remettre à Odilon dans l’église pour le féliciter de ce mariage. Elle l’apprendra plus tard, quand transportée d’Auxillac, dans la haute vallée du Lot, non loin du Gévaudan, à Paris, boulevard Haussmann, « Nymphe superbe et paisible, endormie au sein de sa chrysalide », elle fera la connaissance d’un « Marcel Proust, en négligé décoiffé et sans barbe ».
Proust lui confiera d’abord un travail de coursière, elle devra livrer aux amis de Monsieur les premiers exemplaires de Du côté de chez Swann. Elle apprendra à connaître un peu de Paris, la parcourant à pied, en taxi, en transport en commun. Entre ses livraisons, elle restera à attendre dans la cuisine du boulevard Haussmann que l’on ait besoin d’elle.
Et puis un jour, à la faveur de l’absence d’une des servantes de Monsieur, deux tintements de clochette, signifiant qu’on la demande, retentiront. Elle est attendue dans le saint des saints, la chambre recouverte de liège remplie de la fumée des fumigations, Proust, celui dont André Maurois dira « Il était à la fois le mineur et la mine », l’attend. Elle va devenir la faiseuse de café, aller chercher à la boutique de M. Patin un assemblage de sept variétés de café, le « mélange Corcellet », puis préparer l’essence de café dont Monsieur fait une grande consommation.
L’épisode suivant sera celui du « téléphonage », idiotisme appartenant à Céleste parce que sa langue, au début pour le moins, appartient au pays de ses origines et ne se confond pas avec le parler parisien, elle servira donc de téléphoniste à Marcel Proust. Et enfin de servante, là elle vivra au rythme de Monsieur, leurs personnalités se sont trouvées, même si elle ne sait écrire sans faire de fautes d’orthographe, ils se comprennent, le grand homme l’a adoptée et elle lui est soumise. Elle attendra ses retours nocturnes et l’écoutera raconter ses soirées et ses nuits. Elle l’aidera parfois à trier ses « paperolles », mot qu’elle a sans doute inventé, pour ordonner son texte. Nuits comme jours, elle sera au service de l’écrivain, sortant peu. Elle fera la connaissance des amis de Monsieur.
Le livre de Laure Hillerin se lit très bien, écrit dans une prose classique à la portée de tout le monde ; il s’accompagne en outre d’un appareil critique intéressant où l’auteur nous fait connaître ses références, et d’une bibliographie importante.
Jean-Jacques Bretou
Biographe des grandes figures de la Belle Époque – La comtesse Greffulhe, Boni de Castellane, … –, Laure Hillerin est familière de l’œuvre de Marcel Proust, à laquelle elle a consacré une savoureuse anthologie, Proust pour rire.
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