A l’aube, Philippe Djian
A l’aube, avril 2018, 192 pages, 19 €
Ecrivain(s): Philippe Djian Edition: Gallimard
Philippe Djian aime les vastes espaces ruraux ou urbains, dans lesquels il place des personnages pulsionnels et torturés et des intrigues sulfureuses.
Dans ce roman, la scène se passe autour de la très Old-England, East-Coastville de Boston, dans la campagne de l’état du Massachussetts, mais en fait d’Amérique il s’agirait bien plutôt d’une France sudiste, brute et profonde, à l’image de celle de 37°2 le matin, ou encore d’une lointaine inspiration du fabuleux roman Le Bruit et la Fureur de William Faulkner. Ainsi, les prénoms des personnages, tous américanisés sauf celui de Sylvie, la femme du shérif, et l’omniprésence de Marlon, qui, comme le Benjy de Faulkner, souffre de maladie mentale, tissent un entrelacs de références torrides que le désert froid et enneigé des dernières pages ne suffit pas à oblitérer.
Surtout, ce que l’on retrouve dans les romans de Djian, ce qui fait sa force, son charme et qui forge sa prose narrative, ce sont les dialogues, mi-intérieurs mi-extériorisés, à peine signalés par un retour à la ligne, sans ponctuation, sans marque énonciative distincte, souvent sans incise. Des phrases hâchées qui sont le propre de personnages sous tension.
Elle leva les yeux au ciel. Marlon, tu n’auras pas besoin de lui parler. Tu ne le verras pas. Je ne le ferai pas entrer ici, ne t’inquiète pas pour ça. Je resterai avec toi. On fera comme s’il n’était pas là, c’est promis. On s’occupera pas de lui. On fermera en haut de l’escalier. Ça va. N’en faisons pas non plus toute une histoire avec Howard. Essaie plutôt de l’oublier. Ne t’en soucie pas.
Pas l’oublier. Impossible. Sa faute, tout ça. A cause de lui. J’oublie pas. De sa faute à lui. Tout ça.
De leur faute à tous les trois, Marlon. Arrête.
Une histoire de famille, de sexe et d’argent, voilà à quoi pourrait se résumer le roman, avec objectivité, de l’extérieur : des parents morts, anciens activistes qui cachent un secret, une fille qui revient occuper les lieux de son enfance et prendre en charge son jeune frère, des voisins et amis dont les intentions ne sont pas très claires, un commerce des corps qui prend beaucoup de place. Mais, au fond, une grande désespérance anime le roman et ses protagonistes. Comme dans la plupart des ouvrages de Djian, il n’y a pas (ou peu) d’issue ; quand un problème semble disparaître, en fait il se complexifie et, malgré toute leur volonté de s’en sortir, les personnages sont comme englués dans les affres du ressassement. Mais quel plaisir le lecteur prend à suivre ces évolutions concentriques des héros de l’histoire !
Sylvie Ferrando
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