Voilà comme j’étais, Marie-Paule Farina (par Jean-François Mézil)
Voilà comme j’étais, Marie-Paule Farina, Éditions des Instants, avril 2022, 276 pages, 19 €
Ecrivain(s): Marie-Paule Farina
Il fallait une longue et solide amitié entre Marie-Paule Farina et Sade – assortie d’une étroite intimité (avouable s’entend) – pour qu’un tel livre vît le jour. Car s’il n’avait tenu qu’au divin marquis, nous en aurions été privés. N’a-t-il pas écrit en effet : « De la fiction, de la fiction, jamais de mémoires ni de confessions, c’est mon credo ! ».
À l’instar de Diogène, Marie-Paule Farina a donc cherché un homme dans le tonneau de ses écrits et les traces qu’on trouve de lui. Elle y réussit on ne peut mieux, et l’on se surprend à penser que ce témoignage de vie n’aurait pas été aussi authentique, oserais-je dire aussi sadien, si Marie-Paule n’avait tenu la plume à Donatien Alphonse François.
Les personnages sont campés comme au théâtre. Le tragique se mêle à la farce. Côté farce, Monsieur de Sade, imitant en cela Figaro, se presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. Philosophe quoi qu’il advienne, il prend le contrepied de la réalité (« De la fiction, de la fiction », n’oublions pas). Dieu sait pourtant quelles avanies il s’est vu infliger – avec à la manœuvre, en coulisses, Marie Madeleine Masson de Plissay, sa belle-mère. Concentrant en elle autant de haine que les trois Harpyes réunies, elle va, sa vie durant, s’acharner sur son gendre.
Mais ne doit-on pas s’en féliciter ? Car, sans les tourments qu’elle lui impose et la solitude forcée qui en découle, cet homme de plaisir et de jeux en serait resté à écrire « des chansons, des bouts rimés et des comédies de château ». Grâce, en ce cas, soit rendue à madame la Présidente pour son intarissable et tenace mauvaiseté.
Outre la privation de liberté, Sade sera soumis, de geôle en geôle, à d’incessantes vexations. Tous régimes confondus (royauté, république, consulat et empire), il aura à subir les effets de l’absurde bêtise de l’administration. À titre d’exemple : « À Vincennes ma chambre – peut-on bien appeler cela une chambre ? – était pleine de rats et de souris. Je demandais qu’on mette un chat dans la salle voisine pour nous débarrasser de nos rats et de nos souris et l’on me répondait : Le Règlement interdit les animaux… Mais imbéciles, interdisez alors les souris et les rats ! ».
Autre avantage à ce livre, il nous fait faire une balade, à cheval sur deux siècles, et nous promène entre Paris et la Provence. On y est reçus dans maints châteaux, mais on devient aussi, par la force des choses, visiteur de prison : Vincennes, la Bastille et Miolans.
Miolans ?
Mais oui ! Tenez, goûtons ensemble l’épisode de Chambéry. Sade s’y croit, étant en Savoie, hors de portée des sbires français. Bernique ! Il va déchanter – ce qui nous conduira à connaître de l’intérieur l’impressionnante forteresse de Miolans. Impressionnante certes, mais pas inviolable. Faisant fi de l’épaisseur des murailles et de la vigilance des geôliers, notre homme réussit à prendre la tangente et recouvre la liberté – tant il est vrai qu’il est notoire que Sade aimait se faire la belle.
À chaque évasion, le marquis, bon prince, nous fait les honneurs du château de Saumane, aussi bien que celui de la Coste. Les séjours sont hélas de courte durée : à peine installés, la belle-doche se rappelle à notre souvenir. Hop ! Nous voilà partis pour de nouvelles et haletantes aventures.
Nous y frisons parfois la mort. Jugez plutôt ! Voilà notre héros expédié ad patres : « Le 12 fructidor an VII, un journaliste de l’Ami des Lois annonce son décès, non sans s’en réjouir ».
Mort vraiment ? Que nenni ! Voyage en Italie, avec aux trousses des espions à la solde de qui vous savez, notre harpye en chef qui tant veille sur lui ! Il s’y fait passer pour comte de Mazan (commune dont il est coseigneur). Car il a plus d’un nom et prénom à son arc. Il est Donatien Alphonse François Sade sur l’acte de baptême. Erratum : il fallait lire Aldonse (plus provençal) au lieu d’Alphonse (erreur qui lui vaudra quelque désagrément). Mais encore Louis Sade, révolution oblige ; « Citoyen Charles » pour se cacher des créanciers toujours bien disposés à lui courir aux f… ; Monsieur le 6 (charmant anonymat à la mode à Vincennes) ; et Moussou le marquis de Sado pour les habitants de ce coin de Provence où il aime se rendre afin d’y respirer un air qui, pour lui, n’a pas sa pareille, mais dont il ne profite qu’avec modération, tant et tant les malheurs s’accumulent sur lui, ainsi que mouches sur étron : un père indigné vient faire un scandale et le menace ; une maquerelle lui cherche bisbille ; une prostituée joue les effarouchées ; son château de la Coste est pillé ; on le dépouille de ses manuscrits ; on le condamne à mort ; le voici enfermé avec les fous de Charenton ; les affres de l’âge (il se dit impotent et presque aveugle) ajoutent leur poids de misère ; et, pour tout arranger, notre septuagénaire est alors menacé d’un transfert vers le fort de Ham ; confiscation des biens et ruine s’en suivent ; intermède à la prison de Pélagie (une de plus !) ; mort de son fils aîné sur une route d’Italie par des bandits napolitains… N’en jetez plus, la coupe est pleine !
Va-t-il trouver moyen de goûter une vie plus paisible ? Il le croit (nous avec) après qu’il obtient du roi des lettres d’ester à droit qui l’autorisent à se pourvoir, alors qu’il goûte le confort de la prison royale d’Aix. De fait, le Parlement de Provence prononce un jugement, le 14 juillet, qui lui est favorable. Le voilà désempêtré des poursuites judiciaires, il respire et rêve de villégiature dans sa tant aimée maison de la Coste où Gothon fera pour lui tirer un lièvre dont il se pourlèche d’avance. Patatras ! Un ordre du Roi, daté du 5 juillet, rappelle que la lettre de cachet obtenue l’année précédente par sa belle-mère (encore et toujours elle !) reste valable et qu’il lui faut retourner à Vincennes.
Baisser de rideau ? Fin des péripéties ? Oh, que non ! Pendant le voyage, en pleine nuit, bougie à la main, avec force gags (dignes de Charlot dans The Kid), notre inlassable fugitif trouve moyen de fausser compagnie aux deux exempts de police chargés de sa surveillance. Un épisode grandguignolesque qui met aux anges le lecteur : on rit, on s’esclaffe, on en redemande.
Où fuir à présent que la voie est libre ? En Italie où il échapperait aux poursuites ? Mais c’en serait fini des folles escapades et autres fourberies (que Molière n’eût pas réprouvées) avec son inséparable valet La Jeunesse. Ah ça, non ! Notre inextinguible amoureux de la farce, adepte s’il en est du comique de répétition, s’en retourne à la Coste et y passe le mois « le plus doux et le plus chaste [sic] » de son existence.
C’est là qu’on viendra le cueillir pour la énième fois. Sa domestique le réveille en pleine nuit : « Sauvez-vous ! Sauvez-vous ! ». Il file en chemise vers sa cachette… Grands dieux, elle n’a pas été préparée ! Où aller ? Il s’enferme, faute de mieux, dans une chambre. Des cliquetis d’armes. Des cris : « Au meurtre ! Au voleur ! ». La porte est défoncée, dix hommes le saisissent, pointant sur lui leurs épées ou le bout de leur pistolet. On le lie, on l’embarque : Valence, Cavaillon, Avignon… Et pour finir retour à la case départ, la prison.
Quel roman que sa vie, dites-vous ! Roman vraiment ? Pas pour lui : « Et que l’on ne me dise pas que mes romans sont terrifiants, ce sont des romans, et dans les romans comme dans les baraques foraines, on ne tire qu’à blanc ! ». Air de foire, air de fête, le bonhomme y est allé de sa carabine et nous laisse, au bout de sa vie, une œuvre à part. Les Cent Vingt Journées de Sodome, Aline et Valcour, Justine, Juliette… ses livres, outre leur intérêt propre, nous vaudront deux siècles plus tard cette savoureuse autobiographie.
Gageons que l’ermite de Croisset, autre intime de Marie-Paule, en aurait goûté la lecture et qu’il en aurait déposé un exemplaire sur la table de nuit des chambres de ses hôtes.
Jean-François Mézil
Marie-Paule Farina, née à Nemours (alors en Algérie française), est une essayiste et philosophe française. Spécialiste du marquis de Sade, qu’elle dit aimer surtout parce qu’il réussit à la faire rire, elle lui a consacré, outre cette autobiographie posthume, trois essais et de nombreux articles. Elle est aussi l’auteur d’un recueil sur Rousseau, Rousseau, un ours dans le salon des Lumières, et d’un autre sur Flaubert, grand amateur de Sade, Flaubert, les luxures de plume.
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