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Un petit héros, Fédor Dostoïevski

Ecrit par Nathalie de Courson 27.11.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Nouvelles, Russie

Un petit héros, septembre 2017, traduit du russe par Gustave Aucouturier, 79 pages

Ecrivain(s): Fédor Dostoïevski Edition: Folio (Gallimard)

Un petit héros, Fédor Dostoïevski

 

La Collection Folio 2 € présente l’avantage de mettre à portée de la main, dans toutes les librairies de quartier, certaines œuvres de grands écrivains que l’on n’a pas toujours remarquées et qui contiennent en germe certains de leurs thèmes les plus importants. C’est le cas de Un petit héros publié en septembre dernier dans la traduction classique de Gustave Aucouturier (et dont celle, plus récente, d’André Markowicz pour Actes Sud, ne diffère pas considérablement). Cette nouvelle de 70 pages mérite d’être isolée car elle est très particulière dans la production de Dostoïevski, d’abord par les circonstances de sa composition : l’auteur, arrêté pour complot politique en 1849, attendant la sentence qui le condamnera à mort, s’empresse de l’écrire aussitôt qu’il peut disposer d’une bougie, d’une plume et d’un papier. Mais bien loin de raconter le dernier jour d’un condamné, ce récit a pour narrateur un garçon de onze ans que l’on envoie passer l’été dans une maison pleine de gaieté, et où de multiples invités virevoltent en une fête permanente et artificielle, comme en témoignent d’étourdissantes énumérations :

« De(s) rires sonores comme des clochettes ; des danses, de la musique, des chants ; si le ciel se couvrait, des jeux de société, tableaux vivants, charades, proverbes, un théâtre de salon, des diseurs, des conteurs, des faiseurs de bons mots ».

Le garçon, dans cet univers, ne va pas tarder à souffrir à la manière de ces enfants dostoïevskiens tourmentés ou sacrifiés par les adultes, depuis ceux de Un sapin de Noël et un mariage, écrit un an plus tôt, jusqu’aux compagnons d’Aliocha dans Les Frères Karamazov.

On sait que Dostoïevski a eu toute sa vie le grand désir d’écrire sur les enfants : « Un roman sur les enfants, uniquement sur les enfants et sur un enfant-héros », écrira-t-il en 1876 dans ses Carnets (1).

Ce premier « enfant-héros » auquel l’auteur n’accorde encore ni nom, ni parents, ni passé, est un garçon pensif, solitaire, prêt à se retirer dans sa coquille comme le rêveur anonyme de Nuits blanches également publié un an plus tôt, et en proie devant les femmes de cette société à des émois nouveaux dont la description est une des beautés du livre :

« (…) une sorte d’étonnement me subjuguait, et je me retirais quelque part où l’on ne pût me voir, comme pour me ressaisir et me remémorer quelque chose, quelque chose dont jusqu’alors, me semblait-il, je m’étais fort bien souvenu, que je venais soudainement d’oublier, et sans quoi je ne pouvais cependant plus paraître nulle part, ni même continuer d’être ».

Le narrateur se trouve un soir attiré par les blanches épaules arrondies d’une femme blonde, comme Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée. Grand lecteur de Balzac (sa traduction très personnelle d’Eugénie Grandet en 1844 marque son entrée en littérature), Dostoïevski avait probablement, consciemment ou non, le roman en tête au fond de sa prison, et en certains points cette nouvelle peut être lue comme une de ses réécritures. Mais l’enfant malheureux de Dostoïevski n’a pas immédiatement l’énergie désespérée qui pousse celui de Balzac à se plonger dans ce dos voluptueux, et le narrateur, loin d’être tancé comme Félix d’un « Monsieur » qui lui donne un statut d’homme, va au contraire être obligé par la perfide blonde à s’asseoir comme un enfant sur ses genoux, et ce sera le début d’une série de moqueries, pinçons, chiquenaudes et sévices qu’elle lui infligera quotidiennement pour l’humilier et l’offenser aux yeux de tous.

Il existe toutefois, comme souvent chez Dostoïevski, une deuxième femme, brune et au caractère opposé à celui de la précédente, Madame M… Son portrait tout en nuances est une autre grande beauté du livre :

« A côté d’elle chacun se sentait en quelque sorte mieux, plus à l’aise, plus au chaud, et cependant ses grands yeux tristes, pleins de feu et de force, avaient un regard craintif et inquiet, comme sous l’empire de la peur constante de quelque chose d’hostile et de menaçant, et cette étrange timidité couvrait parfois d’une telle mélancolie ses traits doux et calmes (…) qu’en la regardant on se sentait pris de la même tristesse que si son chagrin eût été aussi le vôtre ».

Le jeune garçon va par hasard être le témoin et l’adjuvant de la vie sentimentale de cette femme triste qu’il observe amoureusement, tapi dans un angle du salon ou assis solitairement sur un banc du jardin. Et c’est finalement grâce aux deux femmes que va se faire « l’éveil encore incertain » du personnage qui le transformera en « petit héros ». Pour répondre en effet à un défi de la femme blonde, il chevauche lors d’une partie de campagne un étalon indomptable et se rend respectable aux yeux de toute la petite société. Pour la femme brune, il retrouve des lettres compromettantes qu’elle avait égarées, et les lui rend cachées dans un bouquet de fleurs des champs qu’il compose pour elle avec une volupté comparable à celle de Félix de Vandenesse, dans la partie du roman où il peint ses sentiments au moyen de ses bouquets pour Mme de Mortsauf. On peut s’émerveiller de l’ardeur avec laquelle Dostoïevski a lu Balzac, et de la non moins grande fidélité de sa mémoire littéraire lorsque, comparant les deux textes, on y trouve des bleuets, des épis de seigle, des myosotis et même une fleur « couverte de brillantes gouttes de rosée ».

Plus l’histoire avance, et plus les scènes de jardin se substituent aux scènes étouffantes de salon, comme si le personnage allait vers la liberté à laquelle aspire son auteur. En découvrant les évocations des bois, des champs, du soleil, de la nature – peu habituelles chez cet auteur – le lecteur est ému quand il songe qu’elles ont été écrites par un homme enfermé dans sa cellule et très incertain d’en sortir vivant.

« Il semblait qu’en cet instant chaque fleur, le moindre brin d’herbe, exhalant son parfum comme un encens, murmurât à son Créateur : “Père ! sois béni de mon bonheur !…” ».

Ce Petit héros, ébauche de roman de formation et chant d’amour au monde, est sans nul doute un livre attachant et singulier dans l’œuvre immense de Dostoïevski.

 

Nathalie de Courson

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A propos de l'écrivain

Fédor Dostoïevski

 

Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski est un écrivain russe, né à Moscou le 30 octobre 1821 (11 novembre 1821 dans le calendrier grégorien) et mort à Saint-Pétersbourg le 28 janvier 1881 (9 février 1881 dans le calendrier grégorien). Considéré comme l'un des plus grands romanciers russes, il a influencé de nombreux écrivains et philosophes.

Après une enfance difficile, il fréquente une école d'officiers et se lie avec les mouvements progressistes pétersbourgeois. Arrêté en avril 1849, condamné à mort, il est finalement déporté dans un bagne de Sibérie pendant quatre ans. Redevenu sous-lieutenant, il démissionne de l'armée en 1859 et s'engage complètement dans l'écriture. Épileptique, joueur couvert de dettes et d'un caractère sombre, Dostoïevski fuit ses créanciers et mène une vie d'errance en Europe au cours de laquelle il abandonne toute foi dans le socialisme et devient un patriote convaincu.

Écrivain admiré après la publication de Crime et Châtiment (1866) et de L'Idiot (1869), l'auteur publie ses œuvres les plus abouties, Les Démons (1871) et Les Frères Karamazov (1880).

Les romans de Dostoïevski sont parfois qualifiés de « métaphysiques », tant la question angoissée du libre arbitre et de l'existence de Dieu est au cœur de sa réflexion, tout comme la figure du Christ. Cependant, ses œuvres ne sont pas des « romans à thèse », mais des romans où s'opposent de façon dialectique des points de vue différents avec des personnages qui se construisent eux-mêmes, au travers de leurs actes et de leurs interactions sociales. Dostoïevski chemine sur différents thèmes de la nature humaine et de la condition humaine.

 

(Wikipédia)

 

A propos du rédacteur

Nathalie de Courson

 

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Nathalie de Courson, enfance et adolescence à Madrid, agrégation de Lettres, doctorat de Littérature française, enseignement (beaucoup). Publications : Nathalie SarrauteLa Peau de maman (L’Harmattan) ; Eclats d’école (Le Lavoir Saint-Martin) ; articles dans les revues Poétique, Equinoxes, La Cause littéraire ; traductions de l’espagnol, dont, en 2017, le roman (traduit du castillan et de l’aragonais) Où allons-nous d’Ana Tena Puy (La Ramonda/Gara d’Edizions).

Auteur d’un blog http://patte-de-mouette.fr/