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Un autre loin, Silvia Baron Supervielle (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 22.11.18 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle, Gallimard, mars 2108, 120 pages, 12 €

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle (par Didier Ayres)

 

Divagation et mort de la divagation

Il y a quelques jours j’ai achevé la lecture du dernier livre de Silvia Baron Supervielle, et il m’apparaît maintenant clairement que cette lecture est vraiment d’un ordre poétique, cela dans la mesure où toute poésie est lue pour être réparatrice ; et il en va ainsi pour ce recueil. Du reste, cet ouvrage rejoint les grandes préoccupations d’aujourd’hui – et qui sait, de toute poésie universelle. Car, j’ai cru voir dans la succession des quatre chapitres du recueil, la constitution d’un imago dans le sens que lui attribue la psychanalyse. Donc, une sorte de premier cri, de première image de soi. Et cette fixation de l’identité de la poétesse, son véritable imago, revient pour elle, à signifier la fin, la disparition qui, on le sait de toute évidence, se décline en une vie bornée, limitée et cela depuis le premier souffle. Un autre loin n’est donc pas un autre ailleurs, mais le soi propre et l’image de soi-même vécus comme un autre, dits dans l’œil d’autrui, dans celui du liseur. Car si cette poésie est réparatrice, si elle est en même temps le témoignage de l’écrivaine au sein de sa propre humanité, et si elle cherche à toucher du doigt au mystère, alors on peut être certain de trouver là une énigme et un soin, confiés au liseur, à son authenticité intérieure revécue par la lecture.

J’ai ouvert là différentes pistes un peu dans le désordre, et il faut maintenant en revenir au texte initial. Et, à partir de mes notules crayonnées à la mine de plomb au fil de cette modeste herméneutique, j’exprime dans cette chronique, le bienfait d’un poème sans images, d’un poème qui ne fait que narrer le court instant de lucidité que nous avons tous devant le mystère de mourir, d’être présent à la vie par la présentification d’un récit à écrire, fût-il de très petits instants, de petits moments d’être. Nous allons chacun dans une perspective mortelle. Nous déambulons sans cesse comme ces insectes qui tournent autour du feu. Nous sommes périssables et enclins à virevolter incessamment au milieu du monde, donc, si l’on peut dire, au milieu de nulle part. Et le texte ici est très circonspect car cette gravité, cette gravité un peu sacrée du reste, qui fait l’étoffe de cette poésie, permet de voir de l’ailleurs, de l’ici et du maintenant – mais sujet à un suspens éternel, une sorte de temps de révélation et d’apocalypse.

 

je subis le théâtre des années

sans modifier le murmure

qui s’articule dans ma bouche

ni l’ombre qui incite mes pas

à sauter dans les précipices

tandis que mon souffle se fige

que mes bras s’agitent

hors du corps

 

Poésie évidemment, mais surtout écrit de la maturité, de l’instant et de l’art mortel en quelque sorte, sachant que ce sort est partagé par tous. Donc, une littérature de ce qui reste après que l’on a vécu, une littérature du point final, du point focal du trépas, celle d’un grossissement de l’instant, sans boursouflures, juste animée d’un éclat maritime, comme si la mort en un sens n’existait pas.

 

je suis la requête indécise

croisée d’éclairs et de tonnerres

lâchée dans les rafales

qui réveillent la trompette

des anges

 

Il faut donc chercher ce qui est essentiel, ou pour mieux dire, ce qui reste quand la nuit éternelle se fige, quand la marche de la personne humaine franchit le mourir, comme si cette perspective alimentait mieux le principe vital. Et cet autre état (dont l’auteure a conscience) est à la fois seuil, vide et verbe. Ainsi, le poème n’est pas bavard, se densifie sur peu d’images ou de récit, pour nous convier à la réparation finale de la perte, qui soigne pour toujours, en l’éliminant, l’angoisse humaine. Oui, c’est au théâtre de la vie à quoi nous sommes invités. Il faut s’écouter lire, il faut porter attention aux signes avant-coureurs de tout ce qui indique un chemin par devers le deuil, méditer avec l’écrivaine sur ce qui est le plus important au regard de ce qui reste définitivement : envisager le dernier sommeil. Oui, accepter la réalité matérielle du monde et sa vanité tout ensemble.

 

sans savoir où aller où revenir

où regagner le pays d’autrefois

que je ne discerne plus

mais qui demeure englouti

dans ma gorge à la façon

d’un sanglot

 

Bien sûr cette opération ne va pas de soi. S’éteindre n’est ni anodin ni sans risque. Il faut sans doute essayer de laisser derrière soi le minimum de regrets, chercher ainsi le deuxième temps de vivre au-delà de la disparition – si l’on accepte que la mort n’est qu’une limite comme une autre. Et le poème seul est capable de signifier à la fois l’importance et la frivolité d’exister. Concluons maintenant avec ces quelques lignes du poème/divagation ou du poème/mort, de ces vers qui annulent la mort, que ce court extrait pourrait peut-être relater :

 

je partirai au-delà quand je pourrai l’atteindre

je partirai me défaire de la mer

qui sépare et des paroles

qui sombrent sous les vagues

des souvenirs des ombres

qui vont vers d’autres rivages

d’autres reflets noyés

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.