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Tu ne mourras pas, Bénédicte Heim, Edmond Baudoin

Ecrit par Matthieu Gosztola 29.03.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Récits, Les Contrebandiers

Tu ne mourras pas, 128 pages, 25 €

Ecrivain(s): Bénédicte Heim, Edmond Baudoin Edition: Les Contrebandiers

Tu ne mourras pas, Bénédicte Heim, Edmond Baudoin

 

La rencontre. Le choc. La stupeur. L’éblouissement. Le lâcher-prise, jamais entièrement quitté par les difficultés. L’amour.

Livre après livre, Bénédicte Heim relate, avec une infinie délicatesse et une infinie précision, et une ferveur ardente devenue phrases, ce moment où les âmes, entrant en contact, au mépris de toutes les convenances, de l’attendu, font advenir ce feu qui les embrase, et les fait fondre suffisamment, pour que naisse de ce contact une seule âme, sans que jamais les deux morceaux qui la composent se voient voler une part de leur identité, de leur singularité.

Et cette façon qu’ont les deux âmes de s’embrasser au point de ne pouvoir décoller, l’une de l’autre, leurs lèvres, est toujours liée à une déflagration de la douceur et de la découverte. Et de l’envolée sur place. Au plus profond de l’autre.

Toujours, il existe un érotisme solaire. Qui jamais ne se lasse. À partir du moment où le désir de connaissance de l’autre, qui déploie un immense respect pour l’altérité contenue dans cet « autre », n’est pas déposé, à bout de chute, à bout de bras, comme un coquillage parmi les coquillages, lorsque le corps suit, dans son pas lent, la rumeur des vagues avec, en contrepoint quasi schubertien, la lune. Et les étoiles.

Connaître quelqu’un, c’est le connaître d’amour, déclare Bénédicte Heim sans remuer les lèvres, par chacun de ses livres, renouant avec Le Ravissement de Lol V. Stein : « Je connais Lol V. Stein de la seule façon que je puisse, d’amour ».

Et cette connaissance de l’autre est comme un départ, dont l’amour, dans son commencement, est le prélude. Un départ pour ailleurs. Pour l’inconnu. Un départ pour l’« autre rive ». Avec le risque de se perdre ? Pour avoir la réponse, il faut revenir à Duras. Mais au Vice-consul cette fois : « Quand elle est partie, elle voyait cette autre rive tout le temps. Elle n’y est jamais allée. Si elle la rejoignait, commencerait-elle à se perdre ? Non, car de cette autre rive elle pourrait apercevoir cette rive-ci où elle est née ».

Aimer, c’est atteindre l’autre rive et pouvoir, enfin, voir celle d’où l’on vient. Cette rive natale qui nous a sortis de son ventre et a conféré à nos mots leur parfum de terre, de mousse. Leur couleur, qui est la couleur de l’écorce. Le mouvement des feuilles dans les arbres. Quand, doucement, le vent se met à parler sa langue de vent.

Par cette histoire qu’est Tu ne mourras pas, très bellement accompagnée par la liberté du trait d’Edmond Baudoin, Bénédicte Heim signe avec L’Enchanteur de Nabokov un pacte secret, lui empruntant et son mouvement et sa beauté, à ceci près qu’elle inverse les polarités : la jeune fille devient le jeune garçon. « Et elle, […] dont la silhouette corporelle s’était allongée pour faire d’elle une femme, écrit Nabokov, elle-même ne serait plus jamais libre de dissocier, dans sa conscience et sa mémoire, son propre développement de celui de leur amour, et ses souvenirs d’enfance de ses souvenirs de tendresse masculine. Par conséquent, le passé, le présent et l’avenir lui sembleraient un seul et même rayonnement dont la source avait jailli, comme elle-même, de lui, son amant vivipare. Ainsi continueraient-ils à vivre – à rire, à lire des livres, à s’émerveiller à la vue de lucioles dorées, à discuter de la prison du monde aux murs couverts de fleurs, et il lui dirait des contes et elle écouterait, sa petite Cordélia, et tout près, la mer ferait entendre son souffle sous la lune… Et, avec une infinie lenteur, d’abord avec toute la délicatesse de ses lèvres, puis avec ardeur, de tout leur poids, toujours plus loin, seulement ainsi – et pour la première fois – dans ton cœur en feu je m’introduirai, de force entre les bords en fusion, je plongerai enfin à l’intérieur ».

Cet album est idéal pour entrer dans l’œuvre de Bénédicte Heim. C’est une façon de frotter sans difficulté aucune (nul besoin de s’y reprendre à deux fois) l’allumette de ses songes, de sa pensée ensommeillée par la répétition du quotidien, contre le relief fait de poudre de verre – et de phosphore rouge – d’un monde livresque extrêmement riche et stimulant.

La flamme qui naît de ce frottement, de cette friction, qui naîtra, est, sera, le goût du lecteur découvreur (goût tenace) pour les autres livres de cette auteure – réinventant, chacun, par le style, pour la restituer dans sa vie, la danse lente et rapide qu’est la rencontre, à l’acmé de son intensité, qui peut épouser la durée de toute une vie.

 

Matthieu Gosztola

 


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A propos de l'écrivain

Bénédicte Heim, Edmond Baudoin

 

Bénédicte Heim, née en 1970 à Strasbourg, est Professeur de français dans un collège de banlieue parisienne.

Le site de Bénédicte Heim : http://www.livres-addict.fr/index.html

Bibliographie :

Aux éditions Baleine-Le Seuil : Soleil Cou coupé, roman, 2001 ; Les Affolés, recueil de nouvelles, sous la direction de Bénédicte Heim, 2002

Aux Contrebandiers éditeurs : Tu ne mourras pas, roman, 2003 ; Adoremus, roman, 2005 ; La femme de mon père, roman, 2005 ; Trajectoire d’une licorne, roman, 2006 ; Le Livre d’Ysé, roman, 2007 ; L’âge de l’outrance, roman, 2008 ; Salle 113, ADK, 2008 ; Aly est grand, roman, 2009 ; Le philtre d’amour,  pièce de théâtre d’élèves, 2008 ; Nues, roman, 2010 ; Tu ne mourras pas (Livre graphique), avec Baudoin, 2011 ; Duo divin d’enfer, 2012 ; Je suis l’autre moitié de ton péché, 2013

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com