Ton frère, Minh Tran Huy (par Alix Lerman Enriquez)
Ton frère, Minh Tran Huy, Robert Laffont, Coll. Les Affranchis, mars 2024, 166 pages, 17 €
Edition: Robert Laffont
On se souvient avec émotion de son précédent livre, Un enfant sans histoire, publié en 2022, où l’écrivaine française d’origine vietnamienne évoque avec désarroi mais force et courage son parcours de combattante de mère d’un enfant autiste sévère. Malgré des soins incessants prodigués par son époux et elle-même, son fils Paul reste muré dans un mutisme effroyable dont il ne semble plus possible de le défaire.
Avec son dernier livre, Ton frère, elle renoue avec cette histoire douloureuse, mais elle le fait d’une manière originale en adressant une lettre pleine d’humanité et de poésie à Serge, le petit frère « neurotypique » de Paul. À Serge, l’enfant inespéré, elle lui parle avec pudeur de la difficulté de vivre au quotidien avec ce grand frère « un peu spécial », qui semble enfermé dans sa gangue de solitude et de terreur.
Serge est né par accident comme un heureux hasard sur les ruines d’une détresse parentale inconsolable. Le couple redoutait d’avoir un second enfant autiste, mais Serge, celui qui n’était pas attendu, se révèle être un enfant rieur et réceptif au monde qui l’entoure. Serge n’est pas autiste, il accède rapidement au langage et montre sa gaieté de vivre. La joie de le voir grandir comme un enfant ordinaire est une consolation, une véritable renaissance.
Pour autant, elle n’efface pas les tristesses passées, mais ce deuxième enfant colmate les plaies et les brèches anciennes creusées par la douleur de ne pas pouvoir soulager les souffrances de son aîné. Tout comme le fait le Kintsugi, art japonais de la réparation des céramiques ou porcelaines qui, « au lieu d’effacer les fissures et les signes d’usure, les transforme et les sublime », les répare avec du fil d’or pour laisser transparaître les fêlures, signes du temps et de la fragilité des êtres et des choses.
Dans une langue simple, drôle et profonde, où l’émotion affleure à chaque mot, où gronde une colère légitime face à une société qui laisse ses plus vulnérables sur le bord de la route, Minh Tran Huy tisse un récit bouleversant ciselé de souvenirs, parfois de traumatismes familiaux et d’exil, enluminé de contes vietnamiens puisés dans un patrimoine ancestral. Elle offre surtout le témoignage poignant de son amour indéfectible pour ses deux enfants si différents : « Ton frère m’a enseigné l’indulgence, le chagrin et la douceur ; toi, la gratitude. Il m’a révélé la grâce des vulnérables ; toi qu’il était possible de suturer des plaies qu’on croyait impossibles à refermer, et non seulement de vivre avec mais d’en tirer une force secrète ».
Dans cette magnifique confession épistolaire, Minh Tran Huy nous donne ainsi une très belle leçon de courage et d’adversité, dont chacun sort grandi.
Alix Lerman Enriquez
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