Tignasse étoile, Evelyne Wilwerth (par Patrick Devaux)
Tignasse étoile, Evelyne Wilwerth, éditions M.E.O., février 2019, 168 pages, 16 €
Ecrivain(s): Evelyne Wilwerth
Le dialogue est endiablé, presque incisif mais joyeux chez cette enfant (fille), Jacinthe soucieuse de son aspect transcendé par ce que peut être ou devenir (parfois malgré elle) sa coiffure.
L’intelligence, elle, se pose en adulte : « Mais je distingue bientôt des oiseaux étranges qui tournent, tournent dans le ciel. Dans mon ciel, à l’intérieur de moi. Vite sous les couvertures ».
Style enlevé. Phrases courtes emportant l’idée : « Annonce l’arrivée du ministre dans dix minutes ».
Gestuelle impeccable. Diction irréprochable.
Introduction claire et charpentée. Choyé, l’enfant se fait son monde : « Je ferme les yeux. J’entre dans de l’ouate. Je n’entends plus rien. Sauf ma respiration ».
En très peu de mots mais qui se succèdent à eux-mêmes comme une évidence, Evelyne suscitant une idée évaluée à la rapidité de l’action, suggère l’envie de lire en continu et presque même de la précéder dans sa démarche, ce genre de style motivant fortement l’intrigue à percevoir.
De la même façon, directe, Evelyne se sert presque de genre d’interludes pour susciter sa propre sociabilité, son humanité : « Depuis que je suis ici à l’île Maurice, je n’ai pas encore rencontré Maurice mais qu’est-ce que j’ai examiné les gens ! Des espèces de Chinois, de noirs, d’Indiens. Et j’ai découvert des maisons très pauvres camouflées derrière les arbres. Il y a beaucoup de misère mais as-tu remarqué qu’ils sourient tout le temps. Oui, émotion ».
Ainsi, la pétillante Evelyne se met-elle facilement à la place de l’enfant quand elle décide de donner un nom à… son carnet de confidences, traité et interpellé comme une amie : « Car j’ai l’impression de me prendre dans les bras quand j’écris sur cette page sur… ta peau et ça me fait vraiment du bien. Dis, carnet, tu t’appelles Turquoise. Tu es déjà mon ami ».
Quelque chose chez Evelyne de burlesque et de bien « belge » (positivement) avec aussi une joyeuseté qu’on lui connaît.
Belle idée de la chevelure « miroir » à évoquer le temps qui passe : « J’ébouriffe mes cheveux. C’est incroyable ce qu’ils ont poussé. La jungle ». Il y a quelque chose de très énergique dans cette reprise en mains de l’enfance à la première personne laissant transparaître une créativité autant précoce qu’observatrice. Jubilant, l’enfant s’émeut, à travers l’Art, progressivement, vers l’adolescence, avec pour fil conducteur « Turquoise », son carnet intime traité tantôt comme un confident, tantôt suggérant un dédoublement de la personnalité.
L’écriture, dans le carnet, est traitée comme une obsession de destination rappelée sans cesse : « Quant à moi, j’ai sur la tête une vraie forêt tropicale ! Et interdit d’y toucher ! Propriété privée ! C’est tout. Non. Certaines nuits je suis réveillée brutalement. C’est ce diable d’Ottawa qui surgit et vient me fouetter. Je saigne de tous les côtés ».
Le temps passant, l’adolescence aura ses rêves et ses rejets à construire progressivement une personnalité qui voudra s’affirmer en tant qu’artiste : « 30 mai. Tout refusé : cadeaux, gâteaux, champagne, embrassades, invités. Et j’ai passé toute la journée dans ma chambre qui commence à ressembler furieusement à un atelier ! ».
La progressivité de la passion se fait jour dans l’esprit de l’héroïne, trouvant de croissants prétextes à développer ses connaissances en Art puisque « Les artistes ne meurent pas. Leurs œuvres leur tissent des ailes. De très longues ailes ».
Dans ce monde idéal paraît, de ci de là, l’évocation de notre société pas toujours participative à nos enthousiasmes : « Oui mais. A qui parler ? Parler vraiment ? Dans ce monde où l’on passe son temps à surfer ? ». Et me reste cette question : peut-on reconnaître, dans cette progression, l’auteur elle-même à « la tignasse qui gonfle et s’empare de l’espace » ?
A la recherche du monde extérieur idéal du point de vue artistique répond cette profonde angoisse des origines non clairement établies ; les « qui suis-je », à travers cheveux ébouriffés dans le miroir, vont se précipiter.
« Tignasse » va-t-elle atteindre les étoiles et passer ce trou noir à « choucas noirs qui régulièrement se rappellent à elle » ?
Le sujet lui-même du livre est sans doute l’éternelle quête de soi-même et résonance perpétuelle d’une identité à trouver à travers les non-dits.
Patrick Devaux
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