Suite orphique, François Cheng (par Nicolas Grenier)
Suite orphique, François Cheng, Éditons Gallimard, mars 2024, 160 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): François Cheng Edition: Gallimard
Orphique philosophique
François Cheng livre, à l’automne de sa vie, une suite orphique de quatre-vingt-dix-neuf quatrains. Pour cette quête spirituelle, l’académicien se place dans la continuité d’Omar Khayyâm, et à plus forte raison la poésie chinoise classique. Sous la protection de sa mère, il revisite le mythe d’Orphée, fils d’Apollon, à la lumière de la pensée chrétienne et taoïste.
Dans un style simple, fluide, limpide qui se manifeste à travers des vers blancs, irréguliers, courts ou longs, parfois rimés, le poète français d’origine chinoise offre une méditation métaphysique sur la mort, l’amour, la beauté, l’existence, ainsi que l’univers. François Cheng emploie une des formes poétiques les plus brèves pour explorer les plus grandes questions de l’humanité. Dans cette condition humaine, marquée par le sceau de la catastrophe, il décoche une philosophie de vie, à travers le quatrain 54 :
Ici, la fraîcheur de la demeure humaine ;
Dehors, mène au loin une route brûlante.
Les uns trouveront, d’autres s’égareront…
L’éternité se joue au gré des tournants.
Sur la route des vivants et des morts, François Cheng invoque la mère Nature, du moins, ce que peuvent toucher les yeux, la main, l’oreille. Dans le souvenir du vieil homme, elle se déploie, à chaque moment du jour, la nuit, à l’aurore, à l’aube. Le paysage devient lumière, fleur ou brume, en hiver, en été, au printemps, à l’automne. Dans le cercle le plus lointain se dégagent la mer, la marée, des îles, les nues, la lune, les astres, les galaxies, la constellation du Bouvier et de la Tisserande.
De proche en proche, on aperçoit la cascade, les cailloux, l’herbe sauvage, la plaine, les collines, la pluie, des roseaux, un cèdre, des pins, des sapins, la sève, un tertre, un chardon, une azalée, un bouton-d’or, des lilas, un iris, une clairière, des étangs, un champ, un pont, des fontaines, l’auberge, une théière, une tasse, un vieux meuble, un cyclamen, une orchidée. Au milieu du décor naturel, le règne animal enchante l’être humain : un sanglier, un papillon, une oie, une pie, les cailles, des abeilles, un mulet, les chiens. Entre le lointain et le proche, l’aigle, le pigeon voyageur, l’alouette font la navette, comme Orphée qui plonge dans le Royaume des morts, pour rejoindre le monde vivant. Dans cet espace-temps, où « s’élève le chant d’une flûte », ne peuvent jaillir que des êtres surnaturels, une fée, un ange, une âme sainte, l’être aimé… ou l’être cher, une mère qui ramène l’éclat des beaux jours, à travers le quatrain 31 :
Toujours le temps ramène l’enfance,
Pour faire durer le bref été.
Nicolas Grenier
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