Soleil Vert, Harry Harrison
Soleil Vert, J’ai Lu nouveaux millénaires, traduction Sébastien Guillot, juin 2014, 315 pages, 14,90 €
Ecrivain(s): Harry Harrison Edition: J'ai lu (Flammarion)
Depuis longtemps indisponible en français, Soleil Vert, huitième roman signé Harry Harrison (1925-2012), fait partie des romans dont la lecture semble indispensable, que ce soit parce qu’on a vu et apprécié le film qui en a été adapté (par Richard Fleischer en 1973) ou parce qu’innombrables sont les références faites à Make Room ! Make Room ! (le titre original, beaucoup plus pertinent) par les auteurs cyberpunk entre autres en tant que précurseur. Cette réédition, doublée d’une nouvelle traduction par Sébastien Guillot, vient donc à point nommé puisque les exemplaires de la précédente traduction se vendent à des prix parfois indécents – ce qui accroît encore le désir de lire ce roman…
Dans un bref prologue rédigé en 1966, l’auteur explique l’objet de son anticipation : en extrapolant la croissance démographique et la consommation « des matières premières de la planète », il ne peut que formuler la question suivante : « à quoi le monde ressemblera-t-il ? », et tenter d’y répondre en faisant débuter l’action de son roman le 9 août 1999, dans un New York surpeuplé (« trente-cinq millions de personnes vivent dans la cité de New York – à quelques milliers près ») et caniculaire.
De suite, le personnage principal, Andrew Rusch, est présenté, et l’on sent clairement chez Harrison l’influence du roman noir pour le type du flic revenu de tout mais intègre, confronté à un travail qui souvent le dépasse mais qu’il faut bien faire – ici, tenter de contrôler une manifestation des « Aînés » qui tourne rapidement à l’émeute. Au second chapitre, on rencontre Billy Chung, le jeune homme d’origine chinoise qui va commettre, quasi par mégarde, le meurtre d’un gros ponte et lancer toute la machine judiciaire derrière lui… Au fil des chapitres suivants, on rencontre d’autres personnages (le colocataire de Rusch, Sol, la maîtresse du gros ponte, Shirl…), mais on est surtout confronté aux diverses réalités des personnages, beaucoup plus complexes et riches de détails que dans le film – qui pour le coup semble bien terne, même si sa fin est beaucoup plus spectaculaire que celle du roman, qui se conclut, au réveillon de l’an 2000, sur la fière annonce gouvernementale que ce « GRAND PAYS COMPTE DÉSORMAIS 344 MILLIONS DE CITOYENS »…
Entre la vie ultra-protégée des élites et la vie sur le fil des plus pauvres, entre la conscience qu’a Sol qu’un autre temps a existé et la vie quasi animale menée par certains (la famille Belicher, infâme) ou la lecture pré-Amageddon qu’un ancien prêtre fait des événements, même entre les différentes nourritures de substitution (mais pas trace ici du cannibalisme social montré par Fleischer), c’est tout un nuancier que propose Harrison, autant de déclinaisons du thème d’une vie rendue très pénible par la dépendance totale à l’extérieur de la ville (entre autres pour l’eau, pour laquelle il faut parfois littéralement lutter) et les catastrophes écologiques déjà arrivées : une zone désertique qui a franchi la frontière canadienne, plus que trois baleines recensées, en fait le monde entier parti au vau-l’eau, comme l’explique Sol :
« Si vous pensez avoir des problèmes, vous devriez voir le type d’en face. Toute l’Angleterre n’est plus qu’une immense cité, et j’ai vu à la télé l’endroit où le dernier tory a été abattu alors qu’il essayait de défendre les derniers bois à grouses. À moins que vous ne vouliez aller en Russie, peut-être ? Ou en Chine ? Ça fait quinze ans qu’ils se livrent une guerre de frontières, ce qui constitue un moyen comme un autre de limiter la population – d’ailleurs vous avez l’âge de faire votre service, et ils enrôlent les filles là-bas, je doute que ça vous plaise beaucoup. Le Danemark, alors, peut-être. La vie est belle là-bas pour ceux qui arrivent à y entrer, au moins y mangent-ils à leur faim – mais un mur de béton a été érigé tout autour du Jutland, et il y a des gardiens sur les plages qui tirent à vue sur tous les affamés qui persistent à vouloir atteindre la Terre promise ».
La raison de tout cela ? Le refus de la contraception, qui « n’a rien à voir avec le fait de tuer des bébés. En réalité, ça en sauve. Quel est le plus grand crime – laisser des gosses mourir de maladie ou de la famine, ou bien faire en sorte que ceux qui n’étaient pas désirés ne viennent tout simplement pas au monde ? » On peut effectivement poser la question encore, quelque cinquante ans après la publication initiale de ce roman : Harrison avait été trop catastrophiste, mais ceci n’empêche en rien certaines catastrophes de pointer le bout de leur nez – à ce propos, savez-vous exactement de quoi est constituée la nourriture mangée aujourd’hui, puisque les ressources naturelles sont surexploitées ?…
Didier Smal
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