S’il existe un pays, Bruno Doucey
S’il existe un pays, éd. Bruno Doucey, 2013, 144 pages, 15 €
Ecrivain(s): Bruno Doucey
Dès le début de S’il existe un pays, se retrouve la sobriété du recueil précédent, La Neuvaine d’amour, réduite au dépouillement de l’haïku et l’amour d’une Nature vivante avec laquelle le poète dialogue – c’est un procédé récurrent dans tout le recueil – « à mots couverts ».
Cette fusion avec la Nature, alliée à une richesse du vocabulaire, nous surprend par sa profusion urgente issue des voyages et de la frustration due au manque de temps, comme Bruno Doucey l’a reconnu lui-même publiquement. Dans Neige, première « nouvelle » d’une série qu’il a élevée à la hauteur d’un conte, on peut en effet lire de véritables trouvailles comme : « la houppelande d’étoiles » et « la capeline dans le vent ».
Puis c’est l’eau, cette fois, qui, sous sa forme liquide, donne lieu aux psalmodies de l’Indian-castor dans une aventure qui a commencé très tôt : « Mais je reste l’indien des mots de mon enfance ».
Le dialogue reprend dans Poème à la vie volée avec un éloge funèbre à l’ami mort et c’est par le vers éponyme « s’il existe un pays » que le poète offre ici une patrie commune à ses frères en écriture.
L’échange se poursuit avec Aimé Césaire dans des vers où l’incantation est initiée par l’anaphore « Je t’écris » qui s’offre à l’être idéal. Celui-ci possède en lui deux ailes – « lyrisme et résistance » – et sert de muse au narrateur qui, dans son génie du lexique, livre un surprenant oxymore : « Nos îles cariées de lumière ». Ce dialogue fraternel se renouvelle plus loin avec Jean Métellus, poète-médecin. L’amitié est donc bien la source de l’écriture comme elle l’est plus loin de nouveau avec Yannis Ritsos : « et je parle Ritsos dans ma langue de feu ».
Et, toujours dans le texte pour Aimé, les « fraises rouge de sang » annoncent le « Je nommerai le sang /ROUGE FREDERICO » du magnifique poème à Garcia Lorca qui apparaît comme un point d’orgue et où la poésie de l’auteur se fait plus habitée encore parce que, sans doute, plus engagée dans la révolte :Nul ne te connaît plus, non, mais moi je te chante. Cet « oratorio », ponctué de magiques et musicaux noms propres, porte à merveille son nom.
Mais, comme si le destin de Garcia Lorca nécessitait la mise à distance, il n’y a pas, dans ce long poème, de dialogue entre poètes sauf, juste avant la fin du livre dans Exhumation, un texte qui touche au spirituel : « D’un coup de reins monte… /t’en souviens-tu Frederico /la mosaïque du bonheur ».
Autant que la variété des thèmes, celle de la versification et de la mise en page montrent que la poésie est ici, à la fois, jeu et joie pour le poète-voyageur. Quels que soient le lieu et le sujet. Et cette variété est au service de véritables compositions musicales.
Ce sont tout d’abord, alors que la nature a ici une très grande place, une chanson pour une ville, New York et ses rues et une comptine originale en « sept SMS ». Chanson aussi dans deux poèmes : Au matin de la tendresse et Maloya. Une ronde nous y emporte avant qu’on ne tremble d’effroi du fait de l’accélération des sonorités graves et rudes de Haïti 2011 où il n’y a plus de dialogue possible : « On meurt à Port-au Prince et on pleure à Paris » : « la maison du poète dévale à grand fracas /la pente du désastre ».
Viennent ensuite trois textes dont l’un, Les volcans de mon île, reprend son titre au 2° volet et où la présence abondante des animaux participe, par sa forme légère, à un lyrisme discret. C’est ainsi qu’on peut apprécier bien des vers qui chantent :
« les couleurs de la vie sont le sureau des larmes »
« tes hirondelles aux mains de vent »
« je vais, je viens, je vole »
« les mots qui tombent de notre bouche /se mêlent au vent qui les effeuille ».
On retrouve ensuite l’incantation favorisée par le thème de la marche dans la partie suivante qui lui est consacrée : « Il marche », « Il va » car aucun continent, comme le montre l’anaphore, ne doit rester inexploré. Ainsi le poète est-il fidèle à son enfance qu’il personnifie, en dialoguant avec elle, dansMémoire : « Enfance, je te parle ». Mais, par ailleurs, il répète sept fois : « Se souviendra-t-il ». Il faut ajouter au passage que ce texte évoque un lieu poétique et imaginaire au point que les antinomies du réel ne fonctionnent plus : « Et je vais mon voyage dans un monde indécis /où l’envers n’est jamais le reflet de l’endroit ».
A ce moment avancé du recueil, le style se fait baroque quand il mime le mouvement, sans doute celui du tour du monde avec « sa chevelure-ritournelle défiant les cyclones » et par exemple une strophe tissée d’assonances et d’allitérations qui sont comme autant de notes de musique : « Au loin /le secret des atolls /n’empêche pas les avions-vautours /d’avaler les nuages ».
La mise en page est elle-même en mouvement avec le porche-calligramme et ces majuscules sans espaces qui crient la souffrance des femmes :
« DETRESSEDUNEFEMMEENQUIPLEURENT/TOUTESLESFEMMESSANSVISAGEPRESQUE… ».
Puis, avec Paternelle, c’est le mouvement encore qui définit le poète lui-même : « Je suis un banc de sable » au moyen d’une langue qui abandonne ses mots comme « des bouteilles à la mer ». Et c’est dans la chute du bref texte suivant, Duende, qu’on comprend définitivement que pour le narrateur-poète la poésie est rédemption. Deux beaux hexasyllabes expriment cette prise de conscience : « L’or que je porte en moi /ouvre les portes du soleil ».
Le recueil se clôt plus légèrement sur L’attrape-rêves. On peut y lire une lettre-dialogue avec l’ami Frédéric-Jacques Temple où les noms propres s’imposent encore et qui s’achève symboliquement par : « La maison est en flammes /mais j’emporte le feu ». Il faut, bien sûr, comprendre ces dernier vers dans les deux sens du mot vol, celui de Prométhée et celui de Phénix. Et, en témoigne cette strophe sur le feu, le livre forme une boucle avec les dernières pages qui se dépouillent, à la façon de Neige, tout au début, dans l’épure de leurs traits, comme en témoigne cet exemple : « je brûle /en mon chablis /la foudre des croyances ».
Force est de constater que l’écriture de ce recueil est si riche et ses sujets si variés dans la présence au monde qu’on est amené à le considérer comme emblématique d’une maison d’édition dont la vocation est internationale.
France Burghelle Rey
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