Robespierre, Hervé Leuwers
Robespierre, août 2014, 460 pages, 25 €
Ecrivain(s): Hervé Leuwers Edition: Fayard
Fondamentalement imprégnés de certains très marquants épisodes de notre histoire, quelques noms illustres méritent amplement que soient étudiées encore, et en-dehors du champ idéologique ou partisan, les raisons de leur fusion irrévocable avec l’instant. S’agirait-il toutefois de ternir ou de redorer l’image de personnages fixés dans nos mémoires au moyen de prompts signaux emblématiques que, rapportée aux surenchères de la glorification ou à celles de la déchéance, la démarche paraîtrait essentiellement subjective et sans promesse de très nouveaux enseignements. Quand s’impose plutôt de comprendre par une simple mais rigoureuse observation comment la machine événementielle forgea sous son action des âmes emportées par ses plus sévères emballements, se regardent autrement les apparences et le fait d’acteurs livrés à eux. L’examen minutieux de comportements dans ces circonstances prépare au mieux à dire de qui ils émanent le plus probablement. Pourvu également que l’image de ces hommes soit demeurée perméable à une curiosité déliée de bornes et de carcans.
La mise en application graduelle d’une détermination combative inébranlable et sans concession contre le despotisme étatique et contre l’assujettissement populaire tendu par un régime inégalitaire explique ainsi, de façon sûrement schématique mais initiale, le durcissement d’attitude progressif qui entraîna Robespierre au cœur de la Révolution française depuis ses aurores. Le pari réussi d’un patient mais pugnace retracé de caractère et de positionnement fait du travail biographique consacré par Hervé Leuwers à celui que l’on dénonce couramment d’un mariage consanguin avec la « Terreur » un contrepoids essentiel aux préjugés et résolutions sommaires. Non inutile sera alors de dire ici tout d’abord combien, sans jamais ouvrir contre lui une forme déguisée de procès et ainsi avec talent, l’auteur aura de la sorte tiré de son sujet aux réputés traits obscurs une somme fort appréciable de lignes claires.
Homme du nord de la France et ainsi natif d’Arras, Maximilien Marie Isidore de Robespierre honore le sol terrestre de son apparition le 6 mai de l’an 1758. En dépit d’une activité semble-t-il depuis plusieurs générations liée aux fonctions d’avocat, et malgré une adjonction patronymique suggérant une marque trompeuse d’aisance, l’ascendance de celui qui naît en ce moment et que portera plus tard la renommée nationale semble devoir s’insérer dans un cadre social du XVIIIe siècle plutôt modeste et pathétique : une mère qui succombe prématurément et, consécutivement, un père peu assidu en son foyer. Très tôt alors, le giron domestique en lequel se voit affecté l’orphelin de mère qu’est devenu le jeune Maximilien prend-il l’aspect du plus confiné mais sécurisant univers de la pension scolaire. Heureuse compensation d’un sort de départ défavorable, la personnalité infantile de l’aîné des Robespierre (précédant sa sœur Charlotte et son frère Augustin) retient de lui sa prédisposition à étudier et à briller sous ce travers. De sa province natale bientôt il s’expatrie, tandis que grâce à la bourse dont il jouit, le collège Louis-le-Grand lui fait accueil à Paris. C’est, nous dit Hervé Leuwers, « Sous la férule de prêtres séculiers » que se poursuit ainsi sa formation collégienne à travers laquelle, précise encore le biographe, « il se passionne pour la langue, les écrits et les héros de l’Antiquité grecque et romaine. Il en retire aussi une exceptionnelle maîtrise de l’art rhétorique, qu’il va mettre en œuvre dans son métier d’avocat puis dans son parcours politique ».
Robespierre achève ses premières études couronné du titre de bachelier, avant de poursuivre celles qui vont le mener sur le terrain judiciaire. Revenu en sa ville arrageoise où une petite décennie fixera effectivement ses premiers pas d’avocat dès au temps de 1780, Robespierre n’y manque pas de se signaler déjà au travers de ses mémoires et plaidoiries, sous l’art et la manière d’un raisonnement implacable dont la puissance retourne localement avec un brio remarqué la consommation des verdicts habituels. Se résume à peu près sous cette trajectoire rapide et presque totalement factuelle ce qui distingue essentiellement chez Robespierre les étapes de son premier parcours. En celui-ci, et ainsi que le propose sans s’appesantir Hervé Leuwers, peut-on toutefois déceler l’orientation d’une piste suivante sans grands méandres jusqu’à la réunion des Etats généraux de 1789, au bout de laquelle l’homme de la robe se verra convoqué jusqu’à Versailles. Parmi les huit élus du tiers état et détachés par le conseil d’Artois, c’est en effet là que prendra son essor véritable la carrière bientôt rapidement résonnante du député Robespierre.
En ce temps de son retour à Paris et où, sans le savoir, le futur conventionnel compte déjà derrière lui plus des trois quarts de sa vie (il a 31 ans), celui-ci demeure un parfait inconnu en la capitale, qui plus est dans les villes provinciales. Grâce à une multitude de déclarations écrites et prises de la parole publique durant les épisodes successifs et retentissants de la période qui s’ouvre là, se révélera alors, par inflexions montantes sous les orientations tranchées du philosophe et sentencieux tribun Robespierre, la stature hors norme du politicien que retiendra particulièrement l’histoire. Mais pour évoquer encore le poids du cycle précédent sur sa destinée et tout comme ne manque pas de le repérer son présent biographe, c’est bien de ces instants d’amont que sera né l’esprit marqué et probablement inaltérable du protagoniste le plus incontournable du temps révolutionnaire français. Au regard de ce pli particulier du personnage, ne saurait être ainsi oubliée l’influence d’un criant contexte temporel ayant agi sur lui et sur la construction liminaire de son fervent idéal. Parce qu’ils sont détectés avec justesse par Hervé Leuwers, qui fait aussi table rase de ce qui n’est point avéré ou qui relève de nettes spéculations tendancieuses, certains plus profonds ancrages de la pensée et des projections de Robespierre se lisent notamment dans l’écriture toujours soignée de ses mémoires d’avocat. Etonnamment, pour cette affaire antérieure aux péripéties révolutionnaires et sans enjeu supérieur mais dite « du paratonnerre », découvre-t-on alors l’éloquente transposition déclarative du plaideur de 1789. Faisant tenir à son client « Dupont » le propos suivant, il assène en conclusion :
« Le peu de vie qui me reste ne vaut peut-être pas tant de sollicitudes, et l’excès même de mes maux m’élève au-dessus des soins qui occupent ordinairement les malheureux. Mais je veux au moins consacrer mes derniers jours à révéler des mystères odieux dont la connaissance peut être salutaire à mes concitoyens. Avant de descendre dans la tombe vers laquelle les hommes impitoyables ont précipité mes pas, avant le terme marqué par la nature, je veux, par un cri terrible, qui pénètre jusqu’au trône et qui soit entendu de la nation, avertir la société dont les lois impuissantes m’ont trahi qu’il est temps d’anéantir des abus monstrueux et déshonorants, qui rendent les peuples aussi vils que malheureux » (p.84-86).
Diderot, Voltaire, Montesquieu et sûrement en premier lieu Rousseau paraissent au plus près les penseurs qui inspirent déjà à Robespierre le mode intellectuel de son indétournable gouverne. Tout comme cela est plus haut nettement suggéré, l’aspirant révolutionnaire ne manque manifestement pas non plus de références confortables puisées dans de plus marquées expressions philosophiques et politiques du monde antique sur lesquelles un Hérodote, un Thucydide, un Cicéron ou encore un Plutarque se seront attardés avant lui. Rien des expérimentations institutionnelles de la cité où se virent conjuguées les règles de la République avec celles de tyrannies éphémères, celles de royautés avec des régimes oligarchiques bientôt proclamés démocratiques ou dictatoriaux ne paraissent si bien échapper à celui qui les raccorde bientôt avec érudition et par morceaux choisis au récent porte-voix des Lumières. Solon, Pisistrate mais surtout Lycurgue se voient à cette fin sollicités. L’exemple spartiate retient à n’en pas douter chez Robespierre une fascination devancière et déterminante.
S’enchaînent cette fois à un rythme accéléré – et ce sera là la matière vive de ce livre – les événements qui, depuis la prise de la Bastille et jusqu’au 9 thermidor de l’an II, emportent le grand orateur et instigateur majeur de la rupture monarchique à travers laquelle le même fit son entrée politique. Il écrivait à son ami Buissart :
« Que la Bastille est un séjour délicieux depuis qu’elle est au pouvoir du peuple, que ses cachots sont vides et qu’une multitude d’ouvriers travaille sans relâche à démolir ce monument odieux de la tyrannie ! » (p.124).
Abolition des privilèges, monarchie constitutionnelle, assemblée constituante puis assemblée législative, tout cela suivi de l’arrestation du roi et de la proclamation de la République (22 sept. 1792) retrace ainsi les trois premières années de ce temps au cours duquel le bientôt très illustre Jacobin gravit avec constance les degrés d’un ascendant populaire de plus en plus prononcé. Fidèle à sa ligne, car les principes le tiennent abondamment, il proclame cette fois devant ses plus fervents auditeurs en justifiant son suffrage pour la mort du roi : « Je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ; je ne connais point l’humanité qui égorge les peuples, et qui pardonne aux despotes » (16 janv. 1793/p.256).
Au regard des événements postérieurs, marqués par l’entrée en guerre de la nation, tant vers l’extérieur qu’en son dedans, soulignés surtout par les affolements d’un couperet de guillotine « de salut public » ne tranchant bientôt plus que de façon exponentielle des gorges déficitaires de reconnaissance humanitaire mais aussi celles de « plus fidèles » amis Révolutionnaires, les proclamations « vertueuses » d’un Robespierre tout en gloire et paradant finalement sur l’autel éclaboussé du culte dédié à l’Être suprême ne sauront dissuader aujourd’hui ce sentiment que jamais l’histoire ne connut auparavant exemple de cynisme aussi effroyablement instruit et cultivé. Mais c’est là une considération sur laquelle l’auteur du présent ouvrage se garde bien entendu d’élancer son propos.
Comme terrain préparatoire aux réflexions suivantes que cela suscite alors, s’impose sûrement ce très adroit travail de balisage accompli par Hervé Leuwers. Tant pis aussi pour les sempiternels détracteurs de l’exercice biographique qu’un obstacle de principe priverait encore d’une occasion de se régaler !
Vincent Robin
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