Rêves de paysages, Claudine Bertrand (par France Burghelle Rey)
Rêves de paysages, octobre 2018, photographies de Joël Leick, 12 €
Ecrivain(s): Claudine Bertrand Edition: Éditions Dumerchez
Le titre du dernier recueil de Claudine Bertrand fait appel, de manière oxymorique, à la fois à l’imaginaire et à la réalité, annonçant celui de la première partie, Insolite Acadie, ainsi que le font les photographies suggestives en noir et blanc de Joël Leick.
Dès l’incipit, semblent se confondre les deux univers. N’est-ce pas là le propre même de la poésie ? Ce premier texte peut apparaître, d’ailleurs, comme une métaphore de l’écriture dans tout son potentiel :
Le ciel défait ma chevelure
délivre des sons
sur la plage offerte
Cette chevelure, l’artiste nous en offre un cliché où se trouve collé, dans un rectangle blanc et en majuscules, le mot « pluie ». L’eau lustrale évoquée par la photo permettra sans doute à la catharsis d’avoir lieu.
Le rythme ternaire des deux premières strophes est suivi par le mouvement ample de la chute, véritable de leçon de vie :
On s’entoure d’un premier élan
celui qui coûte le plus
Vie, en effet, qui s’exprime, conjointement au thème de l’amour, dans un beau champ lexical : frisson, désir, palpiter, sensations, ivre, tumulte intérieur. Le lecteur est plongé dans l’univers passionné qui a toujours été celui de la poète.
Mais, dans cet effort à faire naître les mots, point n’est besoin, une fois de plus, de nouveaux mots, d’un nouveau langage à décrypter pour celle aussi qui, même en errant – « je perds l’écriture », disait-elle dans le très bel opus A 2000 années-lumière d’ici (1999) – avait le verbe simple et l’alliance innée du son et du sens : « depuis le début des temps / je m’appelle Constance / malgré tout je me sens prête à décoller ».
La sensualité, signe encore de vitalité, est au rendez-vous d’une écriture qui ne se constitue pas de seules abstractions :
Ta chair filtre
la lumière…
Ta langue s’évade…
pluie de baisers
Mais la réalité est si violente que « le réel ne suffit plus ». Ainsi se clôt le premier volet.
La seconde partie, Dans un parc, s’ouvre sur deux photos de Joël Leick, un arbre-tronc et « des branches enchevêtrées / et inextricables ». Cependant, malgré la question qui suit à propos des nuages : « pourquoi la vie y réside-t-elle ? », la nature et les arbres, en particulier, sont source de joie et de paix : « L’hêtre rieur / comme le saule / reposent / dans l’écorce / de la planète ».
A l’occasion de vers écrits à la troisième personne, qui désigne, sans aucun doute, l’auteur et la narratrice, le lecteur avait, dès la seconde strophe, confirmation de l’importance des histoires, comme celle, par exemple, d’une « héroïne / emprisonnée ». Le texte-excipit reprend ce topos dans l’assertion d’une strophe :
Des histoires se répondent
et s’étonnent
d’une langue à l’autre
Avec son rythme souple et musical et sa concision silencieuse, la langue de l’écrivaine présente une maîtrise du vocabulaire, une simplicité de style souvent lapidaire et porté à la perfection. Ainsi les mots sont-ils pour elle au service de ce qu’elle a appelé depuis longtemps un « paysage ». Elle écrivait déjà en 1991 dans La Dernière femme : « je suis une perpétuelle voyelle dans ce paysage sans limite » puis plus tard, en 2005, dans Pierres sauvages : « un mot à la fenêtre / éclaire le paysage ».
Celui-ci appartient encore, bien des années après, à la définition même de l’espoir :
Un tressaillement
devant le paysage
qui délivre ses secrets
La poète est également ce passant en marche qu’accueille l’écureuil ou qui « croise un homme au hasard ».
Les années désormais nombreuses n’ont jamais démenti la poétique de Claudine Bertrand toujours animée, sur fond de panthéisme, par une énergie créatrice jubilatoire.
Aussi le livre peut-il se fermer, avec bonheur, sur une dernière photo de Joël Leick représentant un buste nu de femme recouvert de monnaie du pape.
France Burghelle Rey
- Vu : 1953