Ret Samadhi, Au-delà de la frontière, Geetanjali Shree (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Ret Samadhi, Au-delà de la frontière, Geetanjali Shree, Editions Des femmes mars 2020, trad. Hindi, Annie Montaut, 372 pages, 25 €
Geetanjali Shree : l’aventure humaine
Au moment où la voûte du vent emporte des vaines, de vulnérables vagues, à la voile du vide, et que vocifèrent les tempes, les héroïnes du roman de Geetanjali Shree vont sans vacarme. Invisibles ou presque, elles se moquent des vétilles à verrouiller dans une vie qui avance contre tempêtes et marées.
L’auteure répond à cet aujourd’hui où s’affole la peur. Stefan Zweig l’a bien mis en évidence dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme : « La plupart des gens n’ont qu’une imagination émoussée. Ce qui ne les touche pas directement, en leur enfonçant comme un coin aigu en plein cerveau, n’arrive guère à les émouvoir ; mais, si devant leurs yeux, à portée immédiate de leur sensibilité, se produit quelque chose, même de peu d’importance, aussitôt en eux bouillonne une passion démesurée. Alors ils compensent, dans une certaine mesure, leur indifférence coutumière par une véhémence déplacée et exagérée ».
Face à cet excès fort mal venu, Geetanjali Shree – une des grandes écrivaines de l’Inde ; et sa renommée a dépassé les frontières de son pays – évoque l’aventure d’une veuve de 80 ans qui quitte soudain la maison de son fils où elle vit selon la tradition.
Elle est hébergée par sa fille journaliste et célibataire qui l’ouvre à une nouvelle culture et à une véritable métamorphose, et ce auprès d’une transgenre de la communauté des Hijras jusqu’à ce que l’amitié intense entre les deux femmes se casse : l’octogénaire décide alors de fuir avec sa fille vers le Pakistan.
Ce roman, aux mots coupants et souvent drôles, décloue divers types de frontières ente le familier et l’étrange, le passé et le nouveau, l’amour et la haine, les modèles et les genres. Il ne s’agit pas de coudre ses oppositions mais de trouver en elles des points de réveils.
Le silence et ses rubans de sangles n’est plus de mise. Et si l’étiolement de l’âge est là, il ne suffit pas à encalminer le rêve. Geetanjali Shree étrille bien des aliénations au souffle de son écriture là où se hisse la bouche qui se découpe de mots où s’agrippe la liberté. Se démembrent les idées de millénaires obsolètes qui fissuraient l’être lorsqu’il n’était pas le bon.
Se mordent bien des commencements là où le point final n’est pas un terme. Peuvent continuer de « nouvelles formes qu’il reste à colorer pour que se lèvent d’autres histoires ».
Jean-Paul Gavard-Perret
- Vu : 1924