Requiem pour un paysan espagnol suivi de Le Gué, Ramón Sender
Requiem pour un paysan espagnol suivi de Le Gué, trad. espagnol Jean-Paul Cortada (Requiem por un campesino español), et Jean-Pierre Ressot (El vado)
Ecrivain(s): Ramón Sender Edition: Attila
Les guerres ont toujours du mal à finir et leurs cicatrices sont souvent sur le point de se rouvrir. Peut-être pas tant celles des héros, pour autant qu’il y en ait, mais pour ceux qui les ont subies et supportées dans l’anonymat, dans l’ombre, qui peut être l’ombre des petites lâchetés et des trahisons malgré soi. C’est de cela que parlent les deux courts récits de Ramon Sender (1901-1982) rassemblés ici, Requiem pour un paysan espagnol et Le gué. Auteur prolifique qui quitta l’Espagne au lendemain de la guerre civile pour le Mexique, puis la Californie où il décèdera en laissant derrière lui une œuvre qui compte une soixantaine de romans, des essais et du théâtre. A ce jour, à peine une dizaine de titres sont traduits en France et on ne peut que le regretter à la lecture de ces deux courts mais puissants récits.
Dans Requiem pour un paysan espagnol, publié pour la première fois en 1953 au Mexique où l’auteur était exilé, le curé d’un village plutôt perdu, Mósen Millán, se prépare à célébrer une messe de requiem pour le Paco du moulin, mort un an plus tôt pour s’être trop engagé sur les chemins ouverts par la jeune république espagnole. Le Paco du moulin, Mósen Millán l’a connu depuis toujours, il a baptisé et vu grandir Paquito avant qu’il ne devienne Paco et que ce Paco ne soit obligé de se cacher. Alors que s’égrènent les heures et que personne ne semble vouloir venir assister à cette messe de requiem pour laquelle le curé ne veut pas être payé, les souvenirs de la vie de Paco reviennent et nous content sa vie, accompagnés par la chanson qui circule sur sa vie et sa mort et que chantonne l’enfant de chœur. Paco a été livré, a accepté de se livrer, mais a-t-il été vraiment trahi ? Fatalisme et fanatisme semblent s’être donné la main pour interrompre cette vie-là, comme tant d’autres.
Par son ton apaisé, sans violence ni véhémence, ce requiem n’en dit sans doute que plus fortement la folie d’une époque où quelques-uns s’arrogeaient droit de vie et de mort sur ceux qui voulaient simplement plus de justice, plus de partage. Le pouvoir franquiste, sorti gagnant de cette sombre période, ne s’y est pas trompé qui interdit la publication de ce récit en Espagne où il ne sera finalement édité qu’en 1975.
On retrouve le même ton, la même radicalité tranquille et sans concession, dans Le Gué, publié en revue un peu plus tôt, en 1948. Avec une économie de moyen qui en fait la richesse et la force, le récit nous raconte l’insupportable culpabilité et l’impossible aveu qui étouffent la jeune Lucie alors qu’elle s’en va laver son linge de l’autre côté du gué et que tombe la nuit, au risque de n’en jamais revenir. Dans un décor ramené à l’essentiel, où la nature peut facilement, insensiblement et irrésistiblement devenir menaçante et surnaturelle, Lucie tentera l’impossible pour se libérer de ce poids. La folie de mort de ces temps sombres emporte l’innocence et la broie, creusant plus profond les douleurs, empoisonnant les blessures au-delà du supportable.
On ne saurait trop conseiller la découverte de ces deux magnifiques textes, d’autant plus que les éditions Attila ont fait un remarquable travail de publication. Cette édition est réellement belle (du papier aux illustrations en passant par la typographie) et judicieusement documentée pour nous permettre d’apprécier au mieux l’auteur et l’œuvre, replacés dans un contexte dont on ne peut les extraire sans perte mais qu’ils dépassent largement, nous parlant non d’une histoire – celle de la Guerre d’Espagne, plus ordinaire qu’héroïque – mais de l’humain dans et au-delà de l’Histoire.
Marc Ossorguine
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