Quatre livres des Éditions Rougerie, 2014
La Vie atteinte, Jean-François Mathé
Limons (variations), Laurence Breysse-Chanet
Au seuil de la nuit, Olivier Deschizeaux
La vie lointaine, Jean Maison
Lorsque je suis entré en possession des quatre derniers livres que publient les éditions Rougerie à Mortemart, je me suis dit que j’allais écrire quelque chose de cardinal. C’est donc avec cette pensée que j’ai organisé ma lecture et que je me suis penché sur les quatre recueils de poésie, appartenant en propre à la poésie contemporaine, domaine qui reste difficile d’accès, mais aisé si peu que l’on prenne l’habitude de se pencher sur cette dimension de la littérature d’aujourd’hui.
Commençons par le livre La Vie atteinte de Jean-François Mathé, qui est celui d’un poète de l’ombre et de la lumière, un poète du temps, du temps qui passe et du temps actuel qui se représente à l’état présent avec une sorte de petite amertume douce-amère. Poésie d’ombres et de flammes ; poésie qui fait l’état des choses et qui a recours à l’enfance :
« Sont passés l’eau, le sable, le temps,/je reste vide comme le vent d’un pays sans arbres/et le regard clair de n’avoir rien vu ».
Ou encore :
« Il a regardé derrière lui/les murs déjà sans fenêtres de la maison,/et le cyprès devant qui montait/comme une flamme noire/de l’ombre qu’il brûlait ».
Belles formules explicites qui résonnent grâce à la citation en fin d’ouvrage de Jules Supervielle, comme l’aveu d’une poésie qui se voudrait sans énigme, simple et limpide ; une sorte de poésie de l’eau.
Je dois poursuivre maintenant avec le livre de Laurence Breysse-Chanet, Limons (variations) qui est la deuxième branche de l’étoile que je suis en train d’écrire. Et cela pour une poésie abouchée à la présence, une poésie de la métaphysique absolue. Oui, une poésie abstraite et désincarnée, mentale, faite pour l’idée d’un corps intérieur – cette vieille dualité de notre culture –, poésie aérienne, ductile, tournée peut-être vers le tourment du souffle, de la respiration, de l’absorption. Par exemple :
« Les peupliers ivres de leur veille/découvrent leur blancheur./Les traces de ta paume s’effacent/sur la ligne égarée de leur tronc ».
Vers où l’on voit une recherche profonde du mystère de la vie et qui permet d’accroître notre existence d’ici-bas. Et encore :
« Le mur est rouge c’est par ta voix/tout est rouge/le mur/ta voix ».
Poésie physique d’une métaphysique autant à l’évocation calendaire – puisque le recueil suit semble-t-il l’évolution des saisons –, qu’à la pure joie du langage.
Abordons maintenant Au seuil de la nuit d’Olivier Deschizeaux, poète quant à lui qui propose des textes en prose et n’hésite pas à fouiller à même la chair, l’humeur humide des corps, comme une sorte de poète de la terre, un poète de dedans. Mais c’est une chair habitée visiblement par le Christ qui, là, est comme objet d’une quête charnelle dans la langue, un endroit de souffrance où l’on voit facilement le travail des clous sur la croix, la blessure dont parle l’apôtre Jean – rapportée à l’esprit et à l’eau. Une poésie à la fois souffrance pure et en même temps, moment de rédemption, et si je puis dire, une poésie « rédemptionnelle ». Je tire ça et là quelques formules qui m’ont semblé très belles et qui prêtent à cette poésie terrienne une allure noble :
« Tu essuies la chasuble des cieux […] des ancolies aux bras de feu […] tu descends du ciel comme l’archange artificiel. […] les trônes de cristal […] tu es englouti sous une guitare noire ».
Donc poésie aussi de la métaphore.
Cette série de lectures s’est achevée avec le recueil de Jean Maison, La vie lointaine. Et puisque je pensais dès le début à reporter ma lecture à la question cardinale, je m’avance peut-être en disant qu’il s’agit avec ce livre d’une poésie du nord, hivernale, froide. Une poésie de l’éther, du silence, de la raréfaction. On peut méditer facilement sur cette sorte de condition spirituelle qui est la nôtre, et que j’appelle à ma façon l’éther :
« Il demeure des mots/Pris au désœuvrement/Par des pas immobiles ».
Ou bien :
« Ce doux hiver passait/En un destin sans dialogue ».
Ou encore :
« Peut-être/Seule est fragile/ l’éternité ».
Donc le peu, l’essence, une langue cristalline qui tourne autour de toutes petites choses et qui ouvre comme la poésie orientale sur une saisie brève de notre mystère – d’où l’importance de la vacance dans la vie de l’esprit. C’est un peu là le poème céleste. Et c’est aussi ici que je clos ma lecture, avec l’idée très nette qu’Olivier Rougerie des éditions du même nom, continue sa route avec de bons auteurs, et n’hésite pas à faire et à diffuser des ouvrages complexes, dont le foyer est multiple et varié.
Didier Ayres
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