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Punk altitude, Petit traité de spiritualité destroy, Bertrand Pavlik (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge 26.11.25 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais

Punk altitude, Petit traité de spiritualité destroy, Bertrand Pavlik octobre 2024, 126 pages, 7 € Editeur : Dandelion

Punk altitude, Petit traité de spiritualité destroy, Bertrand Pavlik (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Punk altitude, à l’image d’une distorsion de guitare, nous convie dans une réflexion philosophique sur le punk, le rock, mais aussi sur la musique en général. La musique aurait-elle la magie de nous faire philosopher à notre insu ? On a longtemps dénié une spiritualité au rock, à cause de son agitation, ses révoltes désaccordées et ses cris chaotiques, mais toute musique est le miroir d’une partie cachée du « Cosmos ». Si l’on reprend la célèbre dichotomie de Nietzsche et de la mythologie grecque, la musique peut tout autant refléter l’harmonie d’Apollon, que notre ombre avec Dionysos dans un délire extatique. Etymologiquement « extase » signifie en grec, sortir de soi. Comme le suggère Bertrand Pavlik, le rock a ce pouvoir transformateur, de nous faire dépasser nos limites, tout en nous redonnant une place dans le monde.

Platon aurait-il survécu au rock ?

Chez Platon, la musique est avant tout le reflet de l'harmonie du monde, tant sur le plan cosmologique (Le Timée) que sur le plan politique (La République). L’approche de la musique platonicienne est en adéquation avec son époque, elle reprend la philosophie pythagoricienne de l’univers. Selon Pythagore, la représentation du monde est fondée sur le principe de cohésion des éléments et des êtres. Les mathématiques jouent un rôle primordial dans cette musique cosmique. « Dans le Timée, Platon fait référence à un démiurge qui organise l'âme du monde selon des proportions musicales qui permettent de comprendre les lois de l'univers. »

L’homme doit accorder les mouvements de son âme avec ceux de l’univers, pour atteindre une parfaite harmonie des sphères. Cela rejoint la conception alchimique que le microcosme est le reflet du macrocosme, et l’harmonie musicale peut jouer ce rôle de médiateur.

Mais alors, la dysharmonie du rock et du punk, peut-elle prétendre nous connecter à l’harmonie des sphères ? La « fausse » musique déchaînant l’instinct sauvage et les passions incontrôlables, Platon la percevait comme une source de désordre et de chaos. L’aurait-il bannie de la Cité à cause de ses conséquences morales et politiques ? La musique n'est pas neutre, « ses harmonies et ses rythmes peuvent renforcer ou affaiblir l'âme ».

La vraie musique doit-elle être alors uniquement apollinienne, avec des rythmes clairs et raisonnables ? Ou se permettre aussi des excentricités dionysiaques, avec des rythmes enivrants et des imprécisions harmoniques ? Le cœur a ses raisons que la raison platonicienne ignore…

Le punk interroge la place de l’humain dans le monde

Durant l'été 1977, vibre un air d’apocalypse. L’insatisfaction des individus qui ne trouvent plus leur place crée une sorte d’halo prérévolutionnaire. Le mouvement artistique du punk agit alors comme la dialectique du philosophe Hegel : si je ne trouve pas ma place dans ce monde, peut-être puis-je le détruire pour recréer ma place. Bertrand Pavlik évoque la révolte situationniste, qui refuse la société du spectacle, la réification « généralisée » des relations humaines, et l’aliénation. Le concept de La société du spectacle popularisé par Guy Debord dénonce que le spectacle a transformé la vie en une marchandise. Lorsque l’art devient une marchandise et l’être humain est cantonné à un rôle de consommateur spectateur, il s’agit de lutter contre ce hold-up.

Pour que l’homme puisse s’extirper de sa marchandisation, il doit alors devenir une œuvre d’art et faire de sa vie un spectacle. La spiritualité de l'homme s'exprime par la culture qui lui permet de dépasser sa matérialité.

Le punk serait-il devenu sa propre hantise : une marchandisation ?

Dans le punk, deux philosophies se sont affrontées, ceux qui n’ont pas craint de jouer avec la société du spectacle comme Malcom McLaren, et à l’opposé, Johnny Rotten, le chanteur des Sex Pistols, qui a cherché à se libérer de ce monde inauthentique « No future for me ». Nous retrouvons la philosophie de McLaren chez Sid Vicious, le bassiste des Sex Pistols, provocateur, la « quintessence du punk eschatologique », icône du merchandising Punk, victime de sa vie de « défonce ».

Le punk, comme la plupart des mouvements rocks, a été repris par le business qui l'a uniformisé en l'industrialisant et en le « marketant ». Annie Le Brun dénonce ce phénomène dans son ouvrage Ce qui n'a pas de prix. Le problème d’une marchandisation de l’art est la standardisation des goûts. Malcolm Mclaren a pu penser que c’est l’art qui domestiquerait l’argent or c’est l’inverse qui s’est produit. La culture, avec la musique, s'est laissé « réifier » en devenant une industrie culturelle.

La musique doit-elle continuer à se laisser domestiquer par les diktats d’une industrie conformiste et prévisible, avec le danger d’une standardisation intensifiée par l’intelligence artificielle ? Ou au contraire retrouver son élan vital Punk pour déjouer les artifices de la société spectacle ?  Aux spectateurs d’en décider ….


Marjorie Rafécas-Poeydomenge


Bertrand Pavlik est avocat, rockeur, chroniquer à la radio et a été conseiller d’arrondissement de Paris pendant près de vingt ans. Il est également l’auteur de Maudites demeures (Editions du Rocher, 2025).



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A propos du rédacteur

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

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Passionnée de philosophie et des sciences humaines, l'auteur publie régulièrement des articles sur son blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade). Quelques années auparavant, elle a également participé à l'aventure des cafés philo, de Socrate & co, le magazine (hélas disparu) de l'actualité vue par les philosophes et du Vilain petit canard. Elle est l'auteur de l'ouvrage "Descartes n'était pas Vierge".