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Prix de la Vocation 2018, les livres en lice (2) : Ça raconte Sarah, Pauline Dalabroy-Allard et Mauvaise passe de Clémentine Haenel (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando le 18.09.18 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Prix de la Vocation 2018, les livres en lice (2) : Ça raconte Sarah, Pauline Dalabroy-Allard et  Mauvaise passe de Clémentine Haenel (par Sylvie Ferrando)

 

Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard, Les Editions de Minuit, septembre 2018, 192 pages, 15 €

 

C’est un roman bouleversant qui nous emporte, construit en deux parties antinomiques, l’une comme un hymne à l’amour, l’autre comme le récit d’une descente aux enfers. L’auteure s’est essayée à deux types d’écriture. C’est d’abord le portrait élogieux, dynamique, dans lequel Sarah apparaît dans toute sa fraîcheur, sa vivacité, sa fougue, sa fantaisie, telle une héroïne de Goldoni : « Ça raconte ça, ça raconte Sarah l’inconnue, Sarah l’honnête fille, Sarah la dame prudente, Sarah la femme fantasque, Sarah la femme bizarre. Sarah la femme seule ». Et cette première partie s’écrit sous le signe de la musique et du théâtre, comme Les Quatre Saisons de Vivaldi, La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare : Sarah est premier violon dans un quatuor de musique de chambre, elle a bientôt 35 ans, elle est gaie, elle est belle, elle est forte, enthousiaste, exaltée, elle respire la santé, « Elle veut tout tout de suite ».

Sarah s’écrit sous le signe du S – le soufre, la souffrance, la tentation du serpent. « Ça raconte Sarah, sa beauté inconnue, cruelle, son nez austère d’oiseau de proie, ses yeux comme des silex, ses yeux meurtriers, assassins, ses yeux de serpent aux paupières tombantes ». La deuxième partie est le récit d’une douloureuse errance, d’une pathétique fuite en avant pour se soustraire à une annonce mortelle, à une nouvelle fatidique : de Milan à Trieste, la narratrice essaie d’échapper à elle-même.

Le roman est antinomique parce que le refrain qui scande la première partie est « Elle est vivante » et que le leitmotiv de la deuxième partie est « Elle est morte » (et Je suis vivante ?). Mais c’est pourtant un allegro de bout en bout : la vie et la mort sont mêlées au rythme haletant des phrases qui s’enchaînent, comme les destins de Sarah et de la narratrice, qui s’entremêlent et deviennent interchangeables, fusionnels. Les dernières pages sont éloquentes : « Je ne sens plus rien, je ne vois que du rouge, derrière mes paupières closes, des formes rouges qui clignotent en rythme. Systole, diastole, systole, diastole, systole, diastole, choubam choubam choubam, comme ça, de plus en plus vite, chhhoubam chhhoubam chhhoubam, de plus en plus vite, de plus en plus vite, de plus en plus vite, comme un air qui se perd dans la pénombre ». Le récit de mort ne serait-il pas bien plutôt un récit de renaissance ou de naissance de la narratrice à elle-même ? Dans Ça raconte Sarah, le « ça » est pulsionnel, le récit s’écrit tout seul, le discours est comme dépersonnalisé, il échappe à son sujet, au je de la narratrice : l’auteure-narratrice est en latence, comme un enfant elle va se réveiller, se révéler à elle-même : « Je me souviens de ça, de la vie suspendue, de cette vie mise sur pause, où j’étais en apnée, en apesanteur ». Enigme du titre, énigme de l’identité du locuteur, énigme de la littérature qui éclot et jaillit dans ce dynamique roman.

 

Sylvie Ferrando

 

 

Pauline Delabroy-Allard est professeure de lettres. Ça raconte Sarah est son premier roman.

Sélection du Prix littéraire de la vocation, 2018

Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. @FdtVocation

 

Mauvaise passe, Clémentine Haenel, Gallimard, coll. L’Arpenteur, juin 2018, 128 pages, 11,50 €

S’il faut faire une distinction entre fiction reposant sur le langage et fiction reposant sur l’intrigue, le roman de Clémentine Haenel appartient résolument au premier type. En effet, il s’agit d’un roman de texte au sens où la composition des mots et des phrases répond à un souci de recherche intimiste, de précision dans l’expression, de préciosité même.

Les premières pages donnent le ton :

« Je m’enfonce dans mes travers, je bois et je veille. J’ai l’impression que jamais je ne trouverai le juste milieu, le point d’équilibre. Cette démesure me donne la nausée. Je parle trop haut quand je me préfère sous terre. Je me sens perdue, je me fuis sans méthode et sans application : la tête lourde, les yeux enfoncés, deux ongles perçant l’arrière de mon crâne ; le vertige d’en bas ».

Plus que des histoires d’amour ébauchées, brèves, inachevées, chez une jeune Parisienne qui aime lire de la littérature, ce sont des ressentis, des impressions, des fragments de vie. La jeune femme se cherche et se définit en creux, par le regard et les actes des autres : les hommes qu’elle rencontre, à Paris ou à Londres, les hommes sans prénom qu’elle côtoie, sans sentiment, sans désir, qu’elle laisse s’approcher d’elle, s’emparer de son corps. Une jeune femme sous influence.

Cette existence sans but, sans affect trouve son prolongement dans le milieu aseptisé de l’hôpital psychiatrique, puis chez la mère de la narratrice. L’alcool, les clopes, les psychotropes, le sexe, la nuit, telles sont les composantes de ce livre où l’on retrouve à la fois du Marguerite Duras dans le ressassement et de l’Ernest Hemingway dans l’épure et la sobriété du ton.

Puis, au terme d’une longue et lente errance, d’une dérive infinie, de cette « mauvaise passe », ce mauvais passage, cette voie sans issue, c’est la Suède et peut-être un début, un embryon d’amour. Les tourments de la post-adolescence chez une jeune intellectuelle cultivée qui tarde à prendre sa place dans la société sont dans ce livre joliment analysés.

 

Sylvie Ferrando

 

Clémentine Haenel, née en 1992,a 26 ans et vit à Paris. Mauvaise passe est son premier roman.

Sélection du Prix littéraire de la vocation, 2018

Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. @FdtVocation

 


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A propos du rédacteur

Sylvie Ferrando

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère

Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil

Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.

Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.

Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.

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