Prix de la Vocation 2018 (4) - Bicyclettres, Jean-Acier Danès et Le croque-neige, Antoine Janot (par Sylvie Ferrando)
Bicyclettres, Jean-Acier Danès, Seuil, janvier 2018, 224 pages, 17 €
C’est un itinéraire de littéraire, de khâgneux amoureux des lettres. On y démarre à Sète et au cimetière marin de Valéry, puis on se rend à Annecy avec Rousseau et Madame de Warens, dans les Flandres de Marguerite Yourcenar…
Nous assistons, presque en instantané, à ces pérégrinations littéraires à dos d’une bicyclette nommée Causette, homophone de Cosette : « Loin de la recherche de la performance à tout prix, j’ai voulu faire cela : être heureux quelques semaines avec la candeur de cet enfant, les rêves d’un littéraire et d’un vagabond qui grandit ».
On y apprend que le jeune auteur aime Lyon, mais pas Lille, qu’il fréquente le poète Maulpoix. Il apprécie le village de Brangues (Isère) auquel sont attachés les souvenirs de Stendhal et Claudel. On chantonne avec lui A bicyclette d’Yves Montand. Le texte est entrecoupé de citations de Rimbaud dans les Ardennes et de Victor Hugo en Franche-Comté et à Montreuil-sur-Mer. Jules Verne est au rendez-vous, en baie de Somme et à Amiens, Proust à Illiers-Combray, en plaine de Beauce, entre Beauce et Perche ; le village n’a pas changé depuis Proust : « Il y a toujours le Pré Catelan route de Tansonville, que Jules Amiot avait agencé à l’anglaise avec des essences exotiques et variées, et qui a inspiré celui de Swann dans l’œuvre proustienne ». Tours accueille Balzac, dans la région du français le plus pur : « A cheval sur l’Indre et le Cher, la foudre éclata. Lorsqu’elle fut si drue que le paysage s’obscurcit, je ne parvins plus à me souvenir des mots que Félix employait pour ce même trajet entre Tours et Saché, que Balzac lui-même avait fait plusieurs fois à pied malgré sa condition physique ».
« Mon format de voyage était celui de la légèreté » : la légèreté d’un voyage et d’un récit à propos du grand bonheur de rouler en suivant les pas des écrivains aimés et de leurs personnages, sur les routes de France.
Sylvie Ferrando
Jean-Acier Danès a 20 ans. Bicyclettres est son premier livre.
Sélection du Prix littéraire de la vocation, 2018.
Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. @FdtVocation
Le croque-neige, Antoine Janot, L’Harmattan, octobre 2017, 190 pages, 18,50 €
Le récit onirique ou fantastique d’Antoine Janot est une métaphore du Temps. Plusieurs personnages se retrouvent dans une salle d’attente : l’enfant de 7-8 ans qui n’est pas heureux chez lui, qui s’est inventé un compagnon imaginaire nommé Vincent, et qui veut vivre chez Alice et Crapaud, un couple qu’il aime et qui vit sur une péniche ; Salomon, l’homme qui a perdu sa femme, que sa femme a quitté, qui vit la douleur d’une rupture ; Paul, l’homme qui prépare l’anniversaire-surprise de sa femme Cécile, morte un mois plus tôt d’un cancer ; Thérèse, la vieille femme de 88 ans qui s’appelait Bénédicte mais qui, enfant, avait failli mourir de maladie et dont la mère avait prié Sainte-Thérèse, avec succès, « elle était devenue Thèrèse ».
Dans ce récit la temporalité est fluctuante, à la manière des flash-backs et flash-forwards du cinéma. Dans ce récit, on croque, on avale le présent pour une seule raison : parce ce qu’on n’y est pas heureux, et que soit on veut aller de l’avant et sauter quelques étapes de sa vie, soit on veut se réfugier dans le passé et retrouver des souvenirs heureux. L’attente dans la salle du même nom n’est que l’antichambre d’un endormissement, endormissement physique et endormissement de la douleur, d’où l’on émerge plusieurs années plus tard pour donner un nouveau cours à son existence.
Malgré dans ce roman quelques erreurs de langue dues à une relecture inattentive (« bien que Vincent n’existait pas » (p.111), « il prit […] et leur écrit » (p.119)…), on lit de belles pages sur les débuts d’un amour et la séparation d’un couple : « Le couple vivait dans une montgolfière au-dessus des nuages, ils descendaient de temps en temps pour faire des courses ou pour voir des amis, […] Alors le ballon se dégonfla, petit à petit. […] La montgolfière s’écrasa sur une immense forêt, tout en haut à la cime. Salomon amortit sa chute en s’accrochant aux branches tant qu’il put. […] Il ne voyait même plus la montgolfière. Elle était perdue. Elle était perdue. Elle est perdue.[…] Il l’a perdue ».
Thérèse, elle aussi, veut retrouver son enfance, au sein d’une fratrie de quatre enfants (« Le couple avait eu quatre enfants, c’était beaucoup de monde à rendre intelligent »). Etage après étage, elle se met à gravir les escaliers d’une maison qui la rajeunissent peu à peu.
Pourquoi, enfin, le Croque-neige ? Les flocons de neige qui tombent de façon récurrente dans le récit représentent-ils le temps qui passe ou bien sont-ils comme des bribes de souvenirs qui se détachent du ciel, à l’image de « morceaux de papier » que le nuage a « croqués » et qu’il restitue peu à peu ? Quoi qu’il en soit, on retrouve dans ce roman une écriture qui tente de saisir la temporalité des existences, à l’instar des images d’un scénario de film.
Sylvie Ferrando
Autant intéressé par le cinéma que par l’écriture, Antoine Janot a co-réalisé un documentaire ainsi que plusieurs courts-métrages de fiction. Il a publié un essai intitulé Le cinéma est-il devenu muet ?, et un premier roman, Le Goûteur. Le croque-neige est son deuxième roman.
Sélection du Prix littéraire de la vocation, 2018
Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. @FdtVocation
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