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Portrait en bleu *, Eve Roland (par Olivia Guérin)

Ecrit par Olivia Guérin 08.12.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles

Portrait en bleu, Eve Roland, Éditions l’Ourse brune, 2020, 40 pages, 12 €

Portrait en bleu *, Eve Roland (par Olivia Guérin)

 

Délicat. C’est le qualificatif qui vient immédiatement à l’esprit pour ce joli petit livre que nous propose la toute jeune maison d’édition L’Ourse brune, qui a ouvert ses portes en août dernier et a fait le choix de publier uniquement des nouvelles. Ce Portrait en bleu d’Eve Roland est d’abord un bel objet, qui tient au creux de la main avec son format menu d’une quarantaine de pages. Papier de qualité, graphisme élégant, couverture aux douces nuances crème et bleues, illustrée par l’artiste Louis-Marie Catta.

Délicatesse : voilà également ce qui caractérise l’écriture de cette nouvelle toute en nuances, dont la quatrième de couverture résume ainsi la trame : « Lorsqu’elle trouve la photo d’une inconnue parmi les affaires de sa tante décédée, la narratrice ne sait pas qu’elle entrouvre la porte d’un secret bien gardé ».

Mais que l’on ne s’attende pas à des révélations tonitruantes, à un enchaînement d’aventures rocambolesques. Ce court récit – ou cette longue nouvelle – est bien loin du texte à suspens, de la nouvelle à chute comportant force péripéties. Portrait en bleu est au contraire une nouvelle de l’intimité, qui a pour moteur le dévoilement : le cœur du récit est constitué par la mise au jour d’un secret jusque-là bien gardé.

La narratrice s’étonne d’hériter de l’appartement d’une vieille tante qui lui a toujours paru assez revêche, et avec qui elle n’a jamais véritablement tissé de lien de proximité. Au fur et à mesure que la narratrice vide l’appartement, des photos d’une jeune femme, des lettres d’amour, un tableau contemporain révèlent le portrait d’une tante bien différente de celle que la jeune femme a conservée en mémoire. La narratrice se replie alors dans cette intimité nouvelle avec cette tante inattendue, pour se donner le temps de combler les vides du passé.

Ce travail de mise au jour est mis en abyme par le dispositif textuel de la nouvelle, qui livre par bribes des lettres dont le lecteur ne devine que progressivement la provenance, des informations glanées auprès de proches. Les différentes pièces du puzzle s’emboîtent peu à peu pour former un portrait insoupçonné et lumineux. Dans le même temps, on sent que la narratrice se distancie de son univers quotidien, des personnes qu’elle fréquente habituellement. Car ce qui fait tout l’intérêt de cette nouvelle, c’est de saisir un moment de vie d’une qualité particulière où la conscience du personnage connaît une modification en profondeur. Nouvelle psychologique si l’on peut dire, qui nous livre une quête intime, mais nullement psychologisante : Portrait en bleu ne commente pas les états d’âme de la narratrice, mais nous donne à ressentir, avec pudeur et sans mélo, les infimes mouvements de son intériorité dans cette rencontre avec l’autre.

Un art de la ténuité, qui fait de ce texte une nouvelle véritablement contemporaine.

 

Olivia Guérin

 

* Texte initialement paru sur le site de la Revue Rue Saint-Ambroise. La revue de la nouvelle, Éditions Rue Saint-Ambroise.

http://ruesaintambroise.weebly.com/eve-roland-portrait-en-bleu.html

 

Enfant, Ève Roland est un auteur célèbre parmi ses camarades de classe pour qui elle invente des histoires sur le chemin de l’école. En grandissant, elle perd son public et se console en écrivant des nouvelles et des pièces de théâtre. On retrouve sa trace sur France Culture, dans des revues littéraires et aux éditions Mémoire Vivante. Voir aussi sa page sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature : http://www.m-e-l.fr/eve-roland,ec,613

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A propos du rédacteur

Olivia Guérin

 

Olivia Guérin est maître de conférences en linguistique française et agrégée de lettres. Elle enseigne entre autres la création littéraire. Outre ses travaux de recherche sur la langue française et sur la poésie contemporaine, elle publie des articles sur la nouvelle, et a contribué à des revues consacrées à ce genre (Rue Saint-Ambroise, La revue de la nouvelle ; Nouvelle donne).