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Nos silences animaux, Serge Ritman (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 07.02.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Nos silences animaux, Serge Ritman, éditions Collodion, novembre 2021, dessins Laurence Maurel, 72 pages, 12 €

Nos silences animaux, Serge Ritman (par Didier Ayres)

Acuité

Ce qui frappe tout de suite à la lecture de Nos silences animaux, c’est la certitude du trait. Il ne fait pas preuve d’hésitation. Le texte est donc décidé dès les premières lignes et il manifeste clairement son lien avec la langue, lieu sûr et presque stable, assuré, qui nous permet clairement d’entrer de plain-pied dans l’univers du poète. Je dis donc poésie nette, car encline à la force paisible du contour littéraire. Du reste, ces poèmes s’accompagnent des fusains et lavis de Laurence Maurel. J’y vois la revendication d’une volonté définie de s’intéresser au mouvement de la plume, sorte de certitude pour la peintre (et ici pour le poète) d’une confiance dans le geste sans repentir, directement présent à la figure (ici au poème). Cette opération du pinceau ou du stylographe se teinte d’une vérité du discours pictural ou poétique.

avec dessiner ou écrire

à vite qu’il signe à même mon tissu

de serge

Et les animaux, présents depuis le titre, qu’ils soient insectes, cervidés, plantigrades, félidés, canidés, oiseaux…, sont pensés sous forme d’angon. Oui, une espèce de flèche qui par la nomination devient générique. Un lion soudain est un lion pour tous les lions, en une subsumation, devient principe et corps de la catégorie elle-même. S’ajoutant au principe de l’écriture certaine, on voit donc comment le texte avance avec discernement et attention, attention au sujet autant qu’à l’expression en soi. On reste donc dans le cadre d’une recherche, mais qui ne ferait pas aveu de son bois d’œuvre. Nous lisons cette poésie comme dépositaire d’elle-même.

une bête il essaie d’apprivoiser

qu’elle bondisse sur sa grammaire

défasse syntaxe et rougisse termes

sans rapports verte il la

sent proche

En un sens, il y a presque un appareil, une mécanique dialectique entre cette essentialisation et la compréhension qui en est issue. On voit le lettré, celui qui vient de nos humanismes de la Renaissance, prendre le dessus. Il s’agit pour le lecteur de reconstituer le sens qui, lui, reste duel, et ainsi rentrer dans un système d’éclats et de tensions. Car cette certitude du geste vaut pour ce qu’il saisit, non pas compris comme une démarche narcissique – narcissisme qui souvent se rend coupable de facilité. L’ouvrage ne s’arrête pas au seuil du poème. Car faire se replier le paradigme sur le syntagme, demande une clarté de la construction du texte. Nous sommes ainsi au milieu d’une étoile qui ne se boucle pas sur elle-même mais dans un topos de circulations et d’arrachements au réel. C’est là d’ailleurs que l’on reconnaît la poésie, seule susceptible de faire réalité de la réalité.

 

elle va d’un pas

lorsqu’elle bondit où

les fantômes

s’écoulent d’un pas éternel

sa belle individuelle

unité ne parle pas

elle médite et tire la langue

jusque dans ses pattes

c’est le lion qui réside

sa toute puissance

[…]

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.