Même les chiens, Jon McGregor
Même les chiens (Even the dogs). Trad. de l'anglais par Christine laferrière. 276p. 18€
Ecrivain(s): Jon McGregor Edition: Christian BourgoisMême les chiens est un grand livre, de ceux que l’on n’oublie pas. Il vient d’emblée se ranger dans ces moments de lecture qui nous changent pour un moment, pour longtemps, pour toujours sûrement. Il est aussi un de ces moments de découverte d’une écriture authentique, d’un rapport intense et minutieux à la langue. Il établit encore, s’il le faut, que l’écriture est toujours une toile qui se tisse serrée, complexe, entre un récit, des êtres et un rythme. Avec Jon Mc Gregor, il faut écrire rythmes, bien pluriel, tant son halètement narratif nous prend sans cesse à contrepied, de la langueur douloureuse des fantômes errants à la trépidation effrénée des récits de guerre ou aux trous de langage de l’addiction quand elle se brise sur le manque. Jon McGregor enferme chaque repli du désêtre de ses personnages dans une poétique de l’errance.
« Mike ne l’avait jamais arnaqué sur un coup sauf une fois, ou bien deux fois, et ça c’était différent ça ne
Des gosses montaient la cage d’escalier en criant et en cassant des bouteilles alors il est retourné de l’autre »
Qui parle ? Qui raconte ? Qui voit ? L’angoisse du lecteur s’accroît à mesure qu’il commence à comprendre qui est, qui sont, les narrateurs. Autour de Robert, retrouvé mort dans sa masure de paumé, se déploie, comme une armée d’ombres, de fantômes évanescents, tous ceux, toutes celles qui l’ont connu, accompagné ou croisé dans ses dernières années de marginal, d’alcoolique, de junkie. Ombres elles-mêmes, abîmées par la vie. Très abîmées. Ombres et néanmoins humaines, si humaines qu’elles touchent régulièrement au sublime. Et, à tour de rôle, sans qu’on sache jamais vraiment qui prend le récit, ils vont raconter Robert, ils vont se raconter à travers Robert dans leur voyage au bout de l’oubli.
Le pari de Jon Mc Gregor est de nous emmener dans cet univers – qui peut nous soulever le cœur avec ses drogués, ses prostitués, ses lambeaux sociaux – et de nous y faire découvrir et aimer des hommes et des femmes qui valent bien tous les autres, pétris de rêves et de désespoirs, d’amour et de bassesse, de dérision et d’immensité.
Jon Mc Gregor signe là un livre déchirant et parfaitement maîtrisé – dans la lignée des grands Colum McCann ou McLiam Wilson.
Après l’autopsie de Robert, dans la salle du tribunal où l’étrange et terrible cortège d’amis est là, le livre s’achève. Les achève :
« Le coroner signe quelque chose et tamponne des documents dans un bruit d’encre. Se lève et. Sourit à Laura encore une fois et jette un coup d’œil à la. Le policier se met déjà debout au moment où le coroner descend de l’estrade, la pile de papiers sous le bras, et l’huissier dit la Cour se lève.
Nous nous levons. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre, putain, nous nous levons. »
Livre magistral, d’un écrivain de 35 ans.
Léon-Marc Levy
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