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Martyr, Marius von Mayenburg

Ecrit par Marie du Crest 09.05.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, L'Arche éditeur, Théâtre

Martyr, traduit de l’allemand par Laurent Mulheisen, Ed. L’arche, 2013, 125 pages, 15 €

Ecrivain(s): Marius von Mayenburg Edition: L'Arche éditeur

Martyr, Marius von Mayenburg

« Benjamin Südel ou le fou de dieu »

Je reviens à Mayenburg presqu’un an jour pour jour après lui avoir consacré plusieurs chroniques, parlé d’une mise en scène de l’une de ses pièces. Cette fois-ci, Mayenburg choisit comme personnage central de son œuvre un lycéen fréquentant un gymnasium banal avec ses professeurs bivalents, son proviseur comme il y en a tant en Allemagne. Il vit avec sa mère, Inge, qui a du mal à le contenir. La pièce d’ailleurs s’ouvre sur un dialogue entre eux, dans lequel le garçon se dévoile dans le refus : le geste répété dans les didascalies d’un haussement d’épaules à lui seul dit son opposition à l’ordre des hommes, à l’ordre scolaire. En effet, Südel s’absente volontairement des cours. Nous allons dès lors assister à 27 séquences ou courtes scènes sans lien serré entre elles qui permettront une confrontation entre les divers personnages avec le retour d’un dispositif centré sur la convocation chez le proviseur (4-11-19-27). Cette scène centrale réunit professeurs, mère, proviseur et Südel. Elle instaure un système de rapports de force qui insidieusement disqualifie Erika Roth, enseignante de biologie, chimie, géographie, seule adversaire, ennemie et victime enfin de l’élève Südel. Face à elle, les autres adultes capitulent peu à peu et donnent au fond gain de cause au lycéen manipulateur.

Mais qui est ce jeune Benjamin ? Pas un drogué, pas un adolescent mal dans son corps, un adolescent à la recherche de sa sexualité. Non, il est un fou de dieu, qui ne sait parler qu’à coups de citations des Evangiles, de la Bible. En cela, il fait penser à un autre personnage jeune de l’auteur, Kurt (cf. Visage de feu) qui, lui, cite abondamment Héraclite. Cette parole divine fait la guerre à la parole humaine et plus particulièrement à celle d’Erika Roth, qui incarne la raison, la science. Le jeune homme avertit sa mère que ce sont « ses sentiments religieux » qui lui font réagir au règlement de l’établissement qu’il fréquente. Sa religion chrétienne est celle d’un dieu terrible, qui châtie au jour de la vengeance et de citer Es 34, 7-8. Si la religion est intégrée dans le système scolaire allemand et représenté par le père, Dieter Menrath, elle contamine graduellement et dans la violence, l’anathème, le texte notamment à travers les titres des séquences :

Adultère (7) ; Bénédiction (8) ; Conversion (12) ; Eglise (13) ; Prière (20) ; Juifs (21) ; Junkie de la religion (22) ; Croix (25) ; Crucifixion (27) pour terminer..

Il y a chez Sûdel quelque chose du combattant de dieu que rien ne peut arrêter et plus encore : je vaismourir pour elle (sa foi), dit-il p.37. Il se fait même (p.50) Christ guérisseur auprès de son camarade Georg, à la jambe estropiée et être d’une grande naïveté. Il remet en cause le darwinisme et sa théorie de l’évolution, derrière son masque narquois de chimpanzé contre Erika Roth. Il sait qu’elle seule représente un obstacle dans son parcours. Georg sera « son homme de main » : ils décident de trafiquer le scooter de Roth. Cette dernière est dans la logique fanatique, la femme à abattre parce que juive. Il l’accuse même d’attouchement auprès des responsables du lycée qui décident d’exclure la professeure. Paradoxe : l’innocence rendue coupable. Benjamin a la force de son esprit pervers et violent. Ainsi frappe-t-il au visage son amie Lydia, il brandit une pierre contre Georg. Mais il est surtout celui qui transmet, comme une maladie, sa folie religieuse. Erika Roth elle-même bascule dans un rituel mortifère, celui de la crucifixion. Martyre de son propre corps, se clouant les pieds au sol (p.82) pour ne pas partir du lycée, non sans avoir au préalable frappé Benjamin, son bourreau.

Toutefois par delà la dénonciation du fanatisme qui constitue le thème principal de sa pièce, Mayenburg distille une parole du rire presque grotesque comme en témoigne l’épisode des carottes, avatars des pénis auxquels on applique des préservatifs durant les cours de biologie (10) afin de prévenir les maladies sexuellement transmissibles chez les jeunes gens. La séquence Prière démonte parfaitement l’inanité de la pensée de Benjamin : dieu n’est pas avec lui, il se refuse à lui. Par cinq fois, il l’implore en vain (didascalie ; « rien »). Et il ne sera pas celui qui part le dernier. Roth suppliciée et voix ultime de la pièce en même temps. En vérité, Benjamin est le martyr de sa déraison mystique.

 

Marie du Crest

 

La pièce a été créée en janvier 2014, en français au TAP-scène nationale de Poitiers, dans une mise en scène de Matthieu Roy. Mayenburg avait assuré la mise en scène de sa pièce en 2012 à La Schaubühne, à Berlin.

 

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A propos de l'écrivain

Marius von Mayenburg

 

Marius von Mayenburg est né à Munich en 1972. Il fait tout d'abord des études de langue, littérature et civilisation allemandes anciennes, déménage en 1992 à Berlin, où, de 1994 à 1998, il suit au Conservatoire les cours d' "écriture scénique". En 1995, il fait un stage aux Münchner Kammerspiele. Il débute en 1998 en participant à la direction artistique de la "Baracke" du Deutsches Theater et, en 1999, va avec Thomas Ostermeier travailler comme directeur artistique et auteur en résidence à la Berliner Schaubühne am Lehniner Platz.

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.