Ma Patagonie, Guénane
Ma Patagonie, La sirène étoilée, novembre 2017, 47 pages, 12 €
Ecrivain(s): Guénane
« le bout du monde ressemble au début du monde »
Ce recueil est un hommage, un magnifique et poignant hommage à une terre et à ses habitants disparus.
« L’horizon les dents du vent
aimantent les solitaires
les rêveurs de rupture
ceux qui ne craignent de se rencontrer »
C’est ainsi qu’il faut comprendre le « ma » devant Patagonie : non pas une appropriation conquérante des lieux, pas comme un adjectif possessif donc, mais comme la perception très personnelle de l’auteur au-delà de ce qui se donne à voir aujourd’hui.
Devant l’immensité des paysages, la puissance de leur mémoire et leur beauté qui raconte ce qui fut, elle s’incline avec humilité et une grande sensibilité.
« savoir se taire quand on écrit »
Ce n’est pas le premier recueil de Guénane qui évoque la Patagonie, mais ici elle s’attache avec les maigres outils du poète – « en poésie aucun mot n’est cloué/ il n’a aucune prise » – à rendre âme et justice aux premiers habitants de ces terres :
« Indiens Tehuelche
nomades aux empreintes géantes
onze mille ans de présence
(…)
civilisation Évangiles tourments
hommes blancs qu’ils voyaient roses
les Yámana s’éteignirent en 15 ans
(…)
1839 « Créatures abjectes et misérables »
Darwin écrit dans son Journal
(…)
Indiens Ona
(…) 1880 carnage
Ona tous traqués immolés
Aucun exil possible sur une île
Toutes ces vies horriblement massacrées et l’arrogante bêtise des « découvreurs ».
(…)
« Je voyage en silence
Dans la témérité des traces
Une main posée sur la grotte du cœur ».
Rendre justice aussi aux animaux en péril :
« je regarde cabrioler les baleines
dans un golfe de maternité
(…)
elles sombrent jaillissent
trente tonnes de graisse
de grâce
saluent le ciel replongent »
et à la nature défigurée :
« espérer que son souffle survive
sous les talons du tourisme
(…)
Lointain Sud engagé
dans la prolifération assassine
de nos inutilités ».
Ainsi l’auteur a su capter, non seulement les paysages, mais leur essence même, visions d’un monde disparu. Elle parvient à transmettre au lecteur tout le respect qu’ils lui inspirent, sans tomber dans l’aveuglement d’un romantisme exacerbé, bien au contraire, sa lucidité est vive et aiguisée comme le vent d’été austral « qui garde trace des sauvageries polaires ».
« la Patagonie épineuse érafle
les images faciles
mais elle attire
ses dix millions d’années apaisent
les esprits trop griffés
rassurent les insatiables
les soiffards d’horizon
(…)
La Patagonie c’est elle qui vous explore
ouvre vos brèches fouille votre cœur ».
Ma Patagoniea clairement une dimension écologique et politique engagée. Tout territoire a une histoire, celle de cette « Terre des feux éteints/des rêves consumés » est particulièrement cruelle.
« la colère du vent vient de loin
dans sa voix mugissent des ombres ».
Histoire d’un monde disparu :
« si aujourd’hui les chevaux fiscaux
hennissent sur la piste
la mémoire agrippe les cavaliers du passé
soudés à leur monture ponchos au vent
ils avaient des ailes ».
Et d’un monde sur le point de disparaître sous l’avancée d’un prétendu progrès :
« Le vent happe les dépotoirs sauvages
plaque les plastiques aux buissons
nos indestructibles macromolécules »
et d’un tourisme de masse, « paisible ravage ».
« si tu prononces
Humains
pourquoi cette impression toujours
que s’annonce un déclin ?
(…)
comment fait-elle l’Histoire
avec ce perpétuel goût de l’échec en bouche
d’où tient-elle cet estomac d’acier ? »
Notre propre histoire finalement, à toutes et tous.
« Si ta mémoire mesure le temps
évite la dangereuse nostalgie
se pencher à la portière de sa vie
c’est déjà la Patagonie »
(…)
Nous gardons tous en nous des lieux que jamais
Nous ne foulerons le cœur tiède »
Ma Patagonie, incontournable.
Cathy Garcia
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