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Lire les Rivières précédé de La rivière des Parfums, Bernard Fournier

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) 19.04.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Lire les Rivières précédé de La rivière des Parfums, Editions Aspect, juin 2017, 90 pages, 14 €

Ecrivain(s): Bernard Fournier

Lire les Rivières précédé de La rivière des Parfums, Bernard Fournier

Au commencement était une voix, … – voix de la source, onde féminine, affluent et don d’amour, offrant leur chant à l’infini de la mer, pour « un appel, un vœu, un secret ».

« Une rivière dit tout à la mer »

« Toutes les rivières se ressemblent, toutes les eaux sont sœurs et tous les fleuves croient à la mer ».

Ainsi débute le recueil du poète Bernard Fournier : en invoquant « l’œil aux aguets » (le nôtre) pour écouter le « parfum des rivières ». L’œil écoute descendre et battre les eaux entre les rives, comme battent les pulsations du cœur, les flancs d’une femme éprise d’une soif d’aimer et d’être aimée, l’espoir « à la jointure du ciel ».

La « rive »/ les « rives »est/sont contenue(s) dans le mot / le lieu-dit de la « rivière »… Contenues comme les poèmes contiennent, entre les rives de la page et sur les berges de l’émotion, l’épanchement des mots dans l’envergure/le souffle retenus des feuilles ; comme la topographie des textes de Bernard Fournier figure l’épanchement dompté par le poème, l’ampleur lyrique modérée par les cadres/rives de l’espace poétique.

Au commencement s’énonçait une voix, … – mais quelle voix ? :

« Une voix,

Ai-je entendu une voix ?

Un soupir seulement, une détresse peut-être, une solitude dite du bout des lèvres

(…)

Ai-je entendu le vent dans les branches, le glissement des eaux sur les

berges

et les coques, les coups de rame, les moteurs,

Faible voix intérieure conduisant avec obstination une fleur dans le fleuve ;

(…) »

… puis le mouvement insuffla le rythme, dans ces toujours premières palpitations du monde, dans le lit accueillant de la terre, les bras d’une femme, dans « une grande ouverture de bras »…

Aucune dérive dans ces poèmes, aucune crue, dont la rivière aux reflets « vivants, vivaces »nourris aux sources vives du chant d’amour, coule son lit, « creuse et ne dort pas ». La voix de la rivière, « la petite voix intérieure » diffusent depuis les berges de la vie courante le chant des « promesses »(« J’entends la promesse venue de si loin dans l’espace et dans le temps »,écrit le poète, « Et décide, sur un seul baiser,De répondre à la vie ») et son cours ne rencontre pas l’écueil mais au contraire accueille « tous les mots du monde »dans le monde des mots, accueille en tremblant « la beauté du monde »pour lancer de son bord, sur « la rive auxyeux rieurs », « une prière, une louange, un merci au ciel, à la terre, à la mer (…) ».

La poésie à la rescousse coule dans les veines de la solitude, aussi fluide, aussi profonde, que la source vive des rivières. Une « fleur de papier » rencontre tout au long de La Rivière des Parfums la barque des mots, où se (re-)poser le temps d’une traversée, même le laps d’un gué toujours régénérateur. Il suffirait parfois de s’imaginer remplacer le mot de « rivière » dans le texte par celui de « poésie », pour s’apercevoir que le sens n’en est pas altéré, preuve que rivière et poésie s’ouvrent les bras, s’embrassent, et s’embrasent de leur matrice élémentaire mêlée (l’eau et le feu) :

« Quelle ne fut pas la solitude de cette femme parmi la foule,

Pour qu’elle donne à la rivière un peu de son âme,

Pour qu’elle imagine un futur ?

(…)

Une fleur, fût-elle de papier, peut répondre au ciel de ses yeux,

(…)

Une fleur, grande ouverte au soleil peut tirer à soi l’haleine de la rivière pour

naviguer avec elle ; »

Le point-virgule signant chaque texte de La Rivière des Parfumsressemble à l’un des pétales de cette « fleur de papier »formant corolle vers le ciel à la « jointure »duquel fleurit l’espoir.

La femme, la rivière et la poésie forment le lit de cet opus relié par le fil d’une écriture au cours limpide, avec une versification libre respectueuse d’un certain classicisme. Une écriture au cours fluide comme celui d’une rivière magnétisée par la poésie. Comme la vie au cours fragile, le flux des mots s’écoule dans une patiente ferveur et l’écoute attentive du monde. Écoute sensible puisque l’œil est aux aguets. Écoute mémorielle, puisque les alluvions forment des strates d’écriture de traversées humaines, d’existences gravées sur l’écorce terrestre pariétale, puisque de mémoires il ne restera véritablement que le chant des mots dans la rivière des rêves poétiques (cf. L’eau et les rêves de Gaston Bachelard).

La rivière comme « promesse »,« eau de jouvence », (res-)source, ouvre la voie à Ulysse, figure mythique à la proue d’une destinée voyageuse exécutant de hauts faits le temps d’une existence, héros du flux et de l’avancée défiant les vagues secouant les eaux manquant de sombrer et refaisant surface, aux antipodes d’une Ophélie dormant en son « linceul ».

Lire les Rivières revient à s’embarquer (la première partie s’intitule En barque). À prendre le pouls et les mouvements de la mer au rythme de va-et-vient et de ressacs, d’à-coups, d’écueils, de « remous », de remontées

« Je rêve d’une barque : trois coups de rame, et vogue le navire,

Je rêve d’une barque comme planche de salut vers des contrées lointaines

Je rêve d’une barque à forcer le courant comme un cheval rétif ».

« Je rêve avant de m’embarquer », écrit le poète Bernard Fournier.

Dans la barque de son corps jeté dans l’océan du monde, le rêveur navigue dans « l’équilibre et la sérénité », il « tangue »,son cœur accroché sur les bords d’une carène qu’il colmate lui-même pour maintenir le cap de son existence,

 

« Je navigue à mon aise

Dans les barques du soleil,

Je prends chaque branche

Comme l’oriflamme du royaume des bois

Et fouette allègrement les vagues de mon rêve »

 

L’on passe ainsi sa vie « en pointillés sur les cartes »…

Une fois embarqué, « le nautonier »pousse sa Traversée inaugurale(titre de la deuxième partie) et

« Il connaît le danger

Il connaît le passage

Il connaît la manœuvre ; »

Lire les Rivièresest un boat-moviepoétique. Nous avançons au milieu des flots progressivement après avoir été sur la rive, après avoir embarqué, et, au mitan de la navigation nous sommes entre l’abîme de la terre vertigineuse, resplendissante de tant de beautés, et l’abîme où de « fabuleuses traversées »font « chavirer le temps dans(le) silence ».

Le retour sur la rive ferme délivre les remous, les tremblements de l’émotion face à « labeauté du monde ». Délivrance orchestrée par la grâce et l’écriture poétique du « livre-rames » qui recommence le voyage d’Ulysse, pour tisser la toile de l’univers compris dans les mots, le récit des mots. Ulysse/L’Homme tisse son histoire dans le flux temporel et sur les flots, comme le récit de sa traversée se tisse, toile de tisserand tendue dans le cours du temps, sur le châssis des mots.

Les textes du poète Bernard Fournier sont ces « Galets » et ses poèmes, ces rivières, que roulent le monde et les mots…

 

Murielle Compère-Demarcy

 


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A propos de l'écrivain

Bernard Fournier

 

Bernard Fournier a publié plusieurs recueils de poésie, d’essais, de nombreux poèmes, articles et notes de lecture dans des revues françaises et internationales : Les Saisons du poème, Les Cahiers de La Baule, Jardin d’Essai, LittéRéalités (Toronto), Europe, Poésie/ Première, Poésie-sur-Seine, Cahiers Marc Alyn, Cahiers Jacques Audiberti, Dalhousie French Studies, L’Oreillette, Studi Francesi, Autre sud, Les Cahiers de l’Archipel, Lieux d’Etre, Aujourd’hui poème, Diérèse, Notes Guillevic Notes (Toronto). Il exerce plusieurs activités dans diverses académies et associations de poésie dont la Société des Lecteurs de Jean Paulhan, le comité de rédaction de la revue Poésie sur Seine, Saint-Cloud, lecomité de rédaction de la revue Poésie/Première, le comité du Cercle de poésie et d’esthétique Aliénor, brasserie Lipp à Paris. Il est également membre de l’Académie Mallarmé et président de l’Association des Amis de Jacques Audiberti. Il a co-dirigé le colloque à Cerisy-la-Salle sur Guillevic en 2009.

 

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


Lire toutes les publications de Murielle Compère-Demarcy dans la Cause Littéraire


Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.