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Les vivants au prix des morts, René Frégni

15.06.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Les vivants au prix des morts, mai 2017, 188 pages, 18 €

Ecrivain(s): René Frégni Edition: Gallimard

Les vivants au prix des morts, René Frégni

 

René menait une vie paisible. Si douces étaient ses journées, bercées par le silence de la campagne, la discrète apparition des moineaux au petit matin. Il respirait la vie, la nature, et l’amour, les promenades en fleurs. Les collines de Provence veillaient sur lui, sa vie était un long, long fleuve tranquille. Les promenades sur la vallée, les arbres comme compagnie, et sa belle Isabelle, ses seins et ses mots doux. Les après-midis en terrasse, où le soleil chauffe délicatement le crâne, où les gens lisent le journal, parlent dans un accent de Sud-Est, commandent des grenadines ou des pastis avant d’aller jouer à la pétanque. Une vie de paix et de soleil, que René raconte dans ce journal qui lui avait été offert.

« 1er Janvier

(…) Ce qui me sidère chaque jour, c’est la vie de cette vallée, trois maisons au bord d’une rivière, la pierre blonde d’un pont, la beauté du silence ».

Et puis un jour voilà, sa vie d’avant vient toquer à sa porte. Elle lui dit « Alors mon vieux, tu m’avais oubliée ? Pas moi ». C’est Kader, détenu en cavale, qui vient poser son pied, lourd et pourtant si délicat, dans la vie de René.

« – Oui ?

– C’est Kader.

– Tu as besoin de quoi ?

– Te voir, me planquer, disparaître.

– Tu peux monter à Manosque ?

– Je peux y être dans vingt minutes ».

Kader, René le connaît des ateliers d’écriture, en prison. Kader n’avait nulle part où aller, il n’avait personne d’autre à venir encombrer. Tout était pourtant si bien parti. Kader était un type sympa et plutôt droit, finalement, surtout derrière ses nouvelles lunettes rouges, surtout dans les vêtements de René. « Un simple braqueur, Kader, un solitaire… » mais aussi « …un homme prêt à tout qui s’était évadé en hélicoptère du bâtiment A des Baumettes en 1992 et avait attaqué la centrale d’Arles ».

Oui, tout allait plutôt bien, ici à Manosque, où René cachait Kader dans son appartement. Tout allait plutôt bien ou du moins pas trop mal, même si les moineaux et l’amour ont été un peu délaissés, tout se passait bien. Jusqu’à ce que tout se passe mal. Jusqu’à ce que les beaux yeux de Kader se grisent, jusqu’à ce que son étonnant sang froid amène René à faire des choses qu’il n’aurait jamais imaginé faire un jour, ici, dans sa paisible colline ensoleillée. Ce sont des événements qui le dépassent, lui qui ne cherchait qu’à fuir la cruauté de ce monde, de la violence et de la télévision, lui qui ne cherchait qu’à écrire, à admirer ses arbres et écouter chanter le silence.

« Ce sont les morts qui font vivre les journaux. Les jours où il n’y en a pas, ils restent en pile. Il faut alors inventer des morts, dénicher des morts, nourrir la bête qui est en chacun de nous, vorace. (…) Des mots sont apparus et roulent sur toutes les ondes, dès l’aube. “Kalachnikov”, “hachoir”, “ceinture d’explosif”, “tuerie”, “massacre”, “viol collectif” et autres bestialités matinales ».

Roman auto-fictif de la vie simple et sincère d’un écrivain, d’un homme de tous les jours, d’un Monsieur-tout-le-monde que la noirceur rattrape, de son bras long, et gluant.

« Je suis reparti sur des chemins où je n’étais pas seul. Je marchais avec une ombre. (…) Comme si je n’avais jamais pu me contenter des joies paisibles que m’offre cette vie : marcher, écrire, aimer une femme, entrer dans l’eau fraîche d’une rivière ».

 

Louisiane C. Dor

 


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A propos de l'écrivain

René Frégni

Déserteur à 19 ans, il vit cinq ans de petits boulots en Turquie sous une identité d'emprunt puis revient en France où il est infirmier dans un hôpital psychiatrique. Repéré il est mis six mois en prison et commence sa carrière d'écrivain par l'écrit de poèmes qui lui permettent de s'évader mentalement de la prison.

Il vit à Manosque mais son cœur bat à Marseille. La ville est presque au centre de tous les polars qu'il écrit. Sa vie aussi. Dans son dernier roman, Lettre à mes tueurs, publié comme le reste de son œuvre aux éditions Denoël, le narrateur est un écrivain en panne d'inspiration qui prête main-forte à un de ses amis truands. S'ensuit une série de rebondissements dont un interrogatoire assez musclé à l'Évêché, le commissariat central de Marseille. Le 17 février 2004, la réalité rattrape la fiction : René Frégni est placé en garde à vue pendant trois jours pour une histoire de blanchiment d'argent dans un restaurant qu'il cogère avec un ancien « voyou ». Depuis des années, il animait en effet des ateliers d'écriture aux Baumettes. Il sera finalement blanchi de toute accusation et racontera le harcèlement judiciaire dont il a fait l'objet dans Tu tomberas avec la nuit.