Les révolutions de Jacques Koskas, Olivier Guez
Les révolutions de Jacques Koskas, août 2014, 336 p. 19 €
Ecrivain(s): Olivier Guez Edition: Belfond
« Ce soir-là, toute la faune qu’on pouvait croiser chez Raymond semblait réunie : marins d’eau douce, maquereaux à gourmettes, assassins en goguette, éjaculateurs précoces, footballeurs manchots, canailles boiteuses, militaires pacifistes, crooners baroques, sionistes repentis, médecins fumeurs, amants éconduits, schnorers polyglottes, rabbins défroqués, chômeurs prospères, troubadours sédentaires et probes antiquaires ; des petites frappes, des causeurs impénitents et des grands cœurs, des valeureux et des seigneurs, des Séfarades avec un S majuscule qui ne donnaient pas d’argent au KKL, ne buvaient jamais du Coca Light et ne promenaient pas leur maîtresse en Porsche Cayenne – ils n’avaient pas de Porsche Cayenne ».
Jacques Koskas traverse ses révolutions un peu comme Woody Allen ses films, un pied dans le judaïsme, l’autre dans les soirées où l’on ne reste jamais très longtemps un verre vide à la main.
Journaliste noctambule, Jacques Koskas se jette dans la vie comme Garrincha se lance à l’assaut de la cage du gardien adverse. Il n’est pas à un canular économique et amoureux près, trompant son petit monde avec un détachement amusé, qui n’est pas sans risque. Comme le metteur en scène New Yorkais il fourmille d’astuces pour rater tout ce qu’il entreprend, se prend régulièrement les pieds dans les tapis, s’étale, se relève et s’invente sur l’instant une nouvelle révolution. Jacques Koskas arpente en clown érotique et avec plus ou moins d’éclats l’Absurdistan, de Paris aux Amériques, de Berlin à Tchernowitz, pour s’achever à Ramat-Gan, traquant avec nonchalance la panthère de ses rêves.
« La cosmogonie de Jacques Koskas était complexe. Admiratif et reconnaissant à l’Etre Suprême d’avoir créé l’edelweiss, la carotte et la femme en une semaine, il lui en voulait cependant d’avoir disparu et confié les clés de son jardin à l’Homme sitôt le doux péché consommé. Un vilain tour qui avait provoqué quelques catastrophes mineures ».
Les catastrophes peuplent les révolutions de Jacques Koskas, il est même excessivement doué pour les provoquer. On se croirait par instants dans un film de Laurel et Hardy dont les cartons seraient signés Sénèque. Jacques Koskas a pourtant mille idées toutes plus piquantes les unes que les autres, transformer un jeune joueur de football brésilien en star d’une équipe des Emirats, inviter dans une lettre hilarante Hugo Chávez à quadrupler le prix du pétrole brut, écrire et publier Israël, une révolution érotique, où il défend l’idée que les premiers pionniers passaient autant de temps à forniquer qu’à construire leur nouvel état, et que l’un n’allait pas sans l’autre. Ce qui on le comprend facilement n’est pas du goût de tout le monde.
« Le travail de la terre sculpterait les corps et les âmes. Exergue de la force physique, culte de la jeunesse, prophétie révolutionnaire : les pionniers qui s’uniraient la glèbe d’Israël féconderaient des surhommes sensuels. Nulle santé étincelante sans pratique assidue du coït, socle et burin de la nation régénérée ».
Les histoires d’amour de Jacques Koskas finissent toujours très mal. Il a la phobie des abeilles, mais ne cesse de butiner ses conquêtes en surhomme sensuel, jusqu’à sa rencontre avec une pianiste allemande qui va faire exploser ses désirs en tension, un rêve de plus qui s’effondre pour finir sur le banc de touche. Olivier Guez en amateur lettré du football multiplie les écarts, les débordements, les dribles, les esquives et les chutes de son héros, jusqu’à la dernière phrase sifflée comme un pénalty qui tombe comme la lame d’une guillotine. Olivier Guez en amateur éclairé du mouvement de la littérature signe un petit livre brillant, sautillant, éclatant, éclairant, à l’humour féroce et troublant. Olivier Guez en écrivain aux aguets réussit avec Les révolutions de Jacques Koskas un premier roman qui va longtemps résonner comme la clameur qui accompagne un but en or.
« A pas de loup il gagna la salle de bains, se donna un coup de peigne et se regarda longuement dans le miroir. Avec sa grande barbe et son accoutrement bohème, il avait plutôt fière allure, on aurait dit un hipster de San Francisco ou Jean-Claude Brialy dans Le genou de Claire ».
Philippe Chauché
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