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Les Prénoms épicènes (2018, 154 pages), Pétronille (2014, 168 pages), Amélie Nothomb (par Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard le 25.08.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Les Prénoms épicènes (2018, 154 pages), Pétronille (2014, 168 pages), Amélie Nothomb, Albin Michel

Les Prénoms épicènes (2018, 154 pages), Pétronille (2014, 168 pages), Amélie Nothomb (par Jeanne Ferron-Veillard)

 

Deux titres en perspective pour une expérience de lecture. Durée moyenne, deux jours. Commencez par Les Prénoms épicènes. Premier jour. Lisez en position allongée comme Amélie aime le faire. Ne plus avoir à porter le corps pour ne porter que le livre (il va de soi que nous parlons ici du format livre, papier, couverture, composition, impression française, Albin Michel imprime en France). Éclairage, musique ou champagne, à votre discrétion.

Il s’agit, ni de comparer, ni de confronter mais de créer un contraste, une lumière particulière entre deux surfaces. Une expérience, une narration. Deux œuvres pour les discerner autrement en modifiant le contexte. Acmé du décalage que chérit Amélie.

Une façon donc bien particulière de raconter l’horrible de façon anodine. Amélie adore distordre la réalité et les morales humaines. Elle énonce les faits avec la plus pure simplicité, ingénue et candide. Elle est glaçante. Aussi glaciale que la température requise pour le champagne. Boire vite de peur que le breuvage ne s’échauffe. Il en va de même de ses livres.

Amélie élude, les temporalités et les espaces, les repères, il faut les attendre, être patient, ne rien attendre. Amélie ne s’embarrasse pas des maximes de Boileau. Elle autopsie, elle dissèque, elle espionne. Elle attaque. Les pics et les chutes. Le plaisir des mots bien sûr, une enfançonne ou des mots comme ceux-ci, des mots chers comme chez Montherlant qu’on ne lit guère ou qu’on ne lit plus. Amélie tel un Orphée moderne qui bannit la récitation. L’horreur donc. L’humour surtout. Et quelques formules que vous pourrez réutiliser lors d’une soirée, à vos risques et périls, ou lors d’une prochaine altercation au coin d’une rue : « vous avez la sociabilité d’un bigorneau ». Effet de surprise garanti.

La littérature a aussi des usages pratiques.

Amélie y décortique le couple comme elle le ferait d’un crustacé. Le couple et ses bassesses, ses bas-fonds. Les non-dits et les stratagèmes. Les lâchetés, le couple les réunit toutes parce que les deux êtres qui le composent ont trop tôt, ou trop vite, oublié le projet de départ. Depuis la rencontre qui promet tout jusqu’au mariage qui contractualise, ils se méprennent, ils pensent que le couple est le toit, le dais, or il n’est que la conséquence d’un cheminement qui se voudrait commun. Hors normes. Dommage. Le mal est fait. Il y a la famille sur le pas de la porte et un ventre à enfanter. Le domestique et l’intimité. Et toutes les fragilités révélées comme autant de fissures dans la bâtisse. L’un comme l’autre, tôt ou tard, ils sauront les utiliser. Touché/coulé. Puis, les assiettes qu’ils se jetteront à la figure. Les silences. L’indifférence ou le mépris. C’est terrible et c’est ainsi pour beaucoup. Puis, la mesquinerie des âges et les besoins de l’un qui deviennent les concessions de l’autre. Le couple jusqu’à la rupture. Et dans son sillage, il y a toujours une femme qui fuit avec un enfant, voire plusieurs, une voiture, le plus souvent de nuit, des affaires jetées en vrac à l’arrière, une femme en larmes qui doit retrouver son autonomie et qui revient chez ses parents pour éviter le pire. Amélie préfère aux effets de suspense ceux de la surprise. L’humour donc. Le décalage. L’insolite. Amélie a mille vies, mille âmes, mille antennes, au moins mille sources comme autant d’agents pour lui fournir de la matière vivante. Pour nous laisser sur un verbe dont l’équivalent n’existe pas en français. To crave. Mourir d’envie. Et de préférence en position allongée.

Alors vous aussi, vous vous redresserez soudain (attention à votre dos) en vous demandant de quoi vous mourrez d’envie. De quelle nature est votre couple. Puis, suivra une nouvelle interrogation. Quelle liberté perdue désirez-vous retrouver ? Il est possible que vous ayez soudain mal au dos.

Deuxième jour. Quatre années en arrière. Amélie publiait Pétronille. Des liens entre les deux livres, oui bien sûr, à commencer par le champagne mais pas seulement. L’Iliade. La littérature élisabéthaine, Ben Jonson. Et ce fracas loquace qui place certains êtres sur le côté du monde. Un prénom, un physique, une pensée, une idée, une attitude ou un comportement qu’eux seuls savent créer.

Et ainsi pouvoir sentir le monde.

Amélie donne l’impression d’écrire en son nom, oui mais lequel, plus personnelle avec Pétronille, plus proche, jeu et évitement, elle se dérobe aussitôt. Vous aussi, vous lui avez écrit, comme Pétronille, bien sûr elle vous aura répondu, elle répond toujours, elle vous aura invité à une dédicace, votre figure lui plaît mais l’échange cessera dès lors que l’épistolaire devient trop intime. La question de l’intime ?

Vulgarité des apparences.

Or le champagne fait sauter cette correspondance. C’est comme allier sycophante et shooting dans la même phrase. Le champagne donc. Vous avez un événement à fêter ? Oui notre rencontre. Cette phrase est dans les deux livres. Les rencontres comme autant d’échos ou de bouleversements dans les substances. Amélie, ce sont des phrases que vous relirez plusieurs fois, entre le mantra et l’incompréhension jusqu’à en sentir le goût ou le faste. La correspondance. Écrire augmente ma fièvre de ressentir mais, à la faveur de cette élévation grave d’une température déjà critique, fait jaillir des formes précises de la confusion dans laquelle je baigne. La lente élaboration alchimique de cet esprit chamanique, oui Amélie telle une chamane de l’écriture qui manipule les mots et les faits pour uniquement magnifier sa pratique. Pétronille fourmille d’histoires dans les histoires, concentrique, elle semble être, et dans cet ordre expérimental de lecture, l’antichambre du roman Les Prénoms épicènes. L’atelier et la galerie. La toile, du chevalet à l’accrochage. Deux formes donc, surfaces d’amour et de non-amour, la haine et l’amour pour le premier jour, l’amitié et la célébrité pour le deuxième jour, la filiation entre et la mort tout au bout pour les deux. Aimer ou mourir voire les deux simultanément, ce sont les causes et les effets de la littérature. Bien sûr.

Ou deux jours en position allongée entre le premier qui expérimente et le second qui raconte, là une dissonance éternelle de temporalité (causes et effets en littérature). Vous aurez donc vécu une expérience insolite entre les faits et les mots, au pire vous prendrez rendez-vous chez votre kinésithérapeute, au mieux vous aurez rencontré une écriture pourvoyeuse de sens et de profit. Entre ce que vous aurez expérimenté pendant deux jours et ce que vous aurez lu ? Ce que vous en retiendrez. La linéarité d’une part, les pics et les chutes d’autre part. Une histoire quasi continue d’une part, de l’autre l’histoire agencée par Amélie, des pics émotionnels donc, des détails surtout.

Après une semaine, nous ne saurez plus aussi précisément lequel des faits appartient à l’expérience ou aux livres. Ils ne formeront qu’un seul ensemble pour lequel vous aurez une émotion particulière. Particulière. L’histoire et l’expérience désormais réunies sans nécessité d’agencement ou de repères spatio-temporels.

PS : Chère Amélie, sauf erreur de notre part, nous n’avons pas trouvé le mot pneu dans Les Prénoms épicènes. Et que s’est-il passé à Vierzon ? Au buffet de la gare précisément. Quelle désastreuse expérience y avez-vous vécue ? était-ce en route pour la foire du livre de Brive-la-Gaillarde dans la nuit du 3 au 4 novembre ?

À suivre. Poste restante.

 

Jeanne Ferron-Veillard

 

L’auteure invite les amoureux des biographies ou les amateurs de généalogie à s’en référer à Internet qu’elle-même ne sollicite guère. Elle précise qu’elle figure dans le dictionnaire des noms propres, dans l’ordre où elle est supposée être.

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A propos du rédacteur

Jeanne Ferron-Veillard

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Jeanne Ferron-Veillard naît le 16 septembre 1975, à Lorient. Grandit en Bretagne puis à Albi. A l’âge des grandes mutations, part sur Paris : pensionnaire à l’école de La Légion d’Honneur. Les études ? Niveau licence, quelques souvenirs en Lettres Modernes. Puis ce sera l’Angleterre où elle restera quatre années. Retour en France, entre autres responsable d’une très jolie librairie à Paris. Petit tour de France puis du monde, lit, écrit et vit depuis au même endroit incognito.