Les poétiques de l’épopée en France au XVIIe siècle, textes choisis, présentés et annotés par Giorgetto Giorgi
Les poétiques de l’épopée en France au XVIIe siècle, textes choisis, août 2016, 578 pages, 95 €
Ecrivain(s): Giorgetto Giorgi Edition: Editions Honoré ChampionL’épopée, les doctes français de la Renaissance ont voulu, du fait de leur goût profond pour l’antiquité classique, la voir revivre et l’ont placée, à la suite des théoriciens italiens, au sommet de la hiérarchie des genres. Et si ce genre a connu un « épanouissement considérable » durant le Grand Siècle, c’est également du fait de la profonde influence qu’a exercée le Tasse, lequel a « codifié le poème héroïque chrétien et illustré cette codification dans la Jérusalem libérée, dont la fortune a été remarquable, du moins jusqu’à L’Art poétique de Boileau » (qui contient une sévère condamnation de la poésie chrétienne). En s’inspirant de la Jérusalem libérée, bien des théoriciens et/ou poètes ont donné une interprétation allégorique du récit épique, le but de l’épopée, selon la quasi-totalité des poétologues du Grand Siècle, étant « d’instruire et d’édifier ».
Ainsi, il faut signaler que la riche production, en France, durant le dix-septième siècle, de poèmes héroïques (très majoritairement écrits en alexandrins à rimes plates) a été accompagnée d’une « importante réflexion poétologique sur ce genre narratif (élaborée soit par les auteurs des poèmes, soit par des théoriciens de la littérature, dont certains ont écrit en latin), sans conteste incomparablement plus vaste que celle qui a été conduite, à la même époque, dans les autres pays européens ».
C’est cette réflexion, « dans certains cas insuffisamment connue, et qui concerne également les genres littéraires qui présentent des affinités ou des différences avec le poème épique », qui fait l’objet de la présente anthologie, dans laquelle sont pris en considération par Giorgetto Giorgi trente textes théoriques « particulièrement significatifs ».
Si cette édition est particulièrement savante, elle peut être, et avec profit, découverte, parcourue, dévorée par chaque amoureuse, chaque amoureux des lettres, tant il est vrai que résonne dans la langue du dix-septième une sensibilité à nulle autre pareille, une sensibilité qui nous réconcilie avec l’au-delà des mots, avec cette enfance sauvage qui se tient éloignée du langage et que pourtant seul le langage permet de restituer, et qui chuchote, quand l’envie lui prend, à des moments imprévisibles (ils se répètent, mais nul ne serait en mesure de pouvoir déduire de leur périodicité une quelconque logique), à notre attention un peu de l’âme humaine, cette splendeur trouble.
Ainsi Honoré d’Urfé, dans son « Jugement sur l’Amedeide, poème du Seigneur Gabriel Chiabrera » (inLettre du 14 décembre 1618 à Charles Emmanuel Ier de Savoie) : « Chant 16. Pante raconte à Dardagano sa fortune, étant si blessée qu’elle meurt à l’heure même. Le poète la fait amuser en cet état à décrire des choses où il n’y a pas apparence, comme à particulariser la beauté des habits d’Alfange et de son cheval, n’y ayant pas apparence que se sentant défaillir elle s’amusât à ces petites choses ».
Ainsi Jean Chapelain dans sa Préface à La Pucelle ou la France délivrée, Livres XIII-XXIV [1667] (in Les douze derniers chants du poème de « La Pucelle », publiés pour la première fois sur les manuscrits de la Bibliothèque Nationale par Henri Herluison, précédés d’une préface de l’auteur et d’une étude sur le poème de La Pucelle par René Kerviler, avec une notice sur Chapelain par Baguenault de Viéville, Orléans, Henri Herluison, 1882) : « […] Je me promets, qu’étant guidés par ce flambeau, ils sentiront le plaisir qu’il y a d’édifier sûrement et sans craindre d’être obligés à détruire, de prononcer sur le bien ou le mal des poèmes sans appréhender qu’on appelle de leur sentence comme d’abus : et il me semble déjà voir naître de cette précieuse semence mille nouvelles productions qui, ne le cédant point aux anciennes, rendront encore en cela notre siècle égal aux siècles passés, où la gloire de l’esprit allait de pair avec celle du courage ».
Ainsi Jacques Carel de Sainte-Garde dans « La défense d’Homère et de Virgile, ou la belle manière de composer un poème héroïque » (in Réflexions académiques sur les orateurs et sur les poètes, Paris, Christophe Rémy, 1676) : « […] La cause de cela est que l’homme naturellement aime à connaître et à raisonner. Ce qui lui arrive en ces rencontres avec d’autant plus de satisfaction que ces connaissances lui viennent, et qu’il fait ces sortes de raisonnements sans aucune peine. Non pas comme dans les mathématiques et la métaphysique, où il est besoin d’une attention laborieuse qui fatigue merveilleusement l’esprit. Il n’a qu’à voir et à comparer dans le même temps les traits de l’art avec ceux de la nature. C’est ce qui rend ces deux arts, je veux dire la poésie et la peinture, si agréables à ceux qui ont un peu plus d’intelligence, et l’imagination plus belle que le commun. Et c’est aussi pourquoi on les nomme sœurs, et que l’on a dit que la peinture était une poésie muette, de même que la poésie était une peinture parlante. Avec cette différence néanmoins : que la dernière est bien plus heureuse, puisqu’elle peut représenter beaucoup plus de choses ».
Matthieu Gosztola
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