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Les Livres et la vie, Jacques Ancet

Ecrit par France Burghelle Rey 20.02.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Poésie

Les Livres et la vie, éditions Centrifuges, 2015, 130 pages

Ecrivain(s): Jacques Ancet

Les Livres et la vie, Jacques Ancet

 

« La poésie, c’est le bruit que fait le monde quand je parle » (1)

« Le poème n’existe pas, seule existe la trace qu’il en reste » (2)

Pour le lecteur, surtout s’il est lui-même écrivain, l’essai de Jacques Ancet est un livre complet, une bible dans laquelle, avec une mémoire chronologique parfaite de son travail, celui-ci évoque tout ce que l’on peut attendre comme expériences poétiques, comme influences orales et écrites ou comme aventures éditoriales. C’est l’ouvrage que chaque poète ne peut que souhaiter réaliser un jour.

Après le « flot verbal », de nouveaux écrits naissent qui, au-delà du ton baroquisant, sous l’influence sans doute des traductions espagnoles, vont plus loin. C’est le moment aussi, après les récits d’une grand-mère et la lecture de Giono, pour « d’autres lectures essentielles » : Jaccottet, Paz ou Nietzsche, et pour la découverte du fait que la poésie est à la fois « quête de racines » et plongée dans l’ici et le maintenant.

Plus tard se font les rencontres, dans des domaines différents, de Rítsos, de Meschonnic – Jacques Ancet parle à son propos de « familles de pensée » – sans oublier celle de Faulkner qui inaugure la lecture des « grands romanciers » du boom « hispano-américains » liée à l’expérience d’une « énergie, à la force du langage ». Au récit de cette expérience s’ajoute celui de beaucoup d’autres, de celles de toute une vie d’écrivain tel que, dès les premiers textes, « la dépossession du moi ». Evocation également du désir de réconcilier le langage et le monde tout en dénonçant l’illusion référentielle. La nature du réel et le sens de l’écriture sont autant de questions qui se posent en plus. Au départ de la réflexion l’écriture est ressentie comme « instants toujours renaissants » et « recommencement perpétuel ». La structure répétitive va s’imposer dans l’ensemble de l’œuvre du poète, elle va être « composante essentielle » de son écriture.

Les expériences musicales, leurs influences, avec par exemple « la découverte bouleversante » de Schubert et l’assurance qu’il y a dans la relation amoureuse une dimension métaphysique sont des éléments importants pour la recherche du poète.

Primordial est aussi le travail de la forme dont sont décrites ici minutieusement les différentes étapes comme celui des longs versets à la Claudel qui font contraste à des suites de poèmes courts. C’est ainsi que sont sans cesse évoqués les problèmes de structure, de typographie et le rôle du rythme lié au choix de la versification. Les livres s’enchaînent dans le « travail d’exploration de formes fixes ». Après des débuts « dominés par le vers pair » viendra celle des formes fixes impaires avec, par exemple, la composition de dizains heptasyllabiques qui font suite à la traduction de saint Jean de la Croix. A noter une exploration aussi de l’ennéasyllabe, un travail « quelque peu obsessionnel » du chiffre 9, puis plus tard du 13 et, pour finir, du 8. Ces formes permettent au poète de se reposer de « l’effort d’écriture des proses précédentes que l’absence de contraintes rendaient plus difficiles à écrire ».

Davantage lié au fond, on trouve exprimée ici la décision de faire réapparaître le « je » jusqu’à faire naître une voix « silencieuse, intime et anonyme, qui est tous et personne ». Enfin une réflexion sur la « poétisation » et, à l’opposé, une « prosaïsation », permet à l’écrivain d’approfondir son entreprise.

Celui-ci va loin dans l’analyse en tentant de définir au plus près le genre littéraire de ses écrits : roman, poème ou les deux à la fois, émettant des hypothèses sur leur différences. Il n’oublie pas d’évoquer, par ailleurs, pour le bonheur du lecteur, son sentiment d’être conduit par le texte : « à aucun moment je n’eus le sentiment de le maîtriser ni même de l’orienter », ou ses difficultés dans la recherche de titres qui enfin s’imposent.

Des circonstances comme, notamment, les encouragements ou les réticences des éditeurs l’amènent à opérer sur ses écrits des modifications et améliorations. Les allusions au monde de l’édition sont récurrentes tout au long de l’essai avec le récit chronologique de la rencontre d’éditeurs bienveillants ou en difficulté. Quand un livre erre de maison en maison, peut même survenir « une véritable traversée du désert ». L’aventure numérique se présente parfois comme une solution « sans que pour autant soit remise en cause… l’hégémonie du livre ».

L’essai s’achève par quelques brèves réflexions ; celle qui suit résume en peu de mots le travail involontaire de Jacques Ancet : « les mots les plus simples, le vocabulaire minimum, je n’ai pas choisi non plus. Malgré moi, j’écris contre. Contre les postures, contre l’image pour l’image, la poétisation, la belle littérature… ».

Pour les passionnés du genre, la leçon du poète se montre édifiante jusqu’aux dernières lignes.

 

France Burghelle Rey

 

1) (aphorisme manuscrit, p.70)

2) Ode au recommencement, J. Ancet, p.60

 

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A propos de l'écrivain

Jacques Ancet

 

Jacques Ancet est un poète et traducteur français né le 14 juillet 1942 à Lyon. Après des études secondaires et supérieures dans cette même ville, il fut lecteur de français à l’Université de Séville, puis agrégé d’espagnol. Il a enseigné depuis plus de trente ans dans les classes préparatoires aux grandes écoles avant de se consacrer à son travail d’écrivain et de traducteur près d’Annecy, où il réside. Nombreux prix et très nombreux ouvrages publiés (pour s’enquérir de ceux-ci, se reporter à sa page Wikipedia).

 

A propos du rédacteur

France Burghelle Rey

 

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Rédactrice

Domaines de prédilection : poésie, littérature

Genres : recueils, essais, récit

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, éditeurs divers

France Burghelle Rey est Paris, a enseigné les Lettres classiques et vit actuellement à Paris où elle écrit et pratique la critique littéraire. Elle est membre de l'Association des Amis de Jean Cocteau et du P.E.N. Club français.

Plus de cent textes parus dans de nombreuses revues et anthologies ainsi que plus de soixante-dix notes critiques(Nouvelle Quinzaine littéraire, Poezibao, Europe, La Cause littéraire, Place de la Sorbonne, CCP, Recours au poème, Texture, Temporel etc.).

Elle a écrit une quinzaine de recueils dont Lyre en double paru aux éditions Interventions àHaute voixen 2010 puis chez La PorteRévolution en 2013 suivi de Comme un chapitre d'Histoire en 2014 et de Révolution IIen 2016. Le Chant de l'enfance(Prix Blaise Cendrarsadultes) a été publié aux éditions du Cygneen juillet 2015, Petite anthologie, ( Confiance, Patiences et Les Tesselles du jour )chezUnicitéen 2017 et Après la foudrechez Bleu d'encreen 2018.

 

Les derniers textes augmentés de L'Enfant et le drapeau (à paraître chez Vagamundo), naissance rédemptrice d'un " ange " dans un monde en désolation, veulent exprimer l'expression d'une nécessaire présence au monde en souffrance. Elle achève en 2017 un recueil encore inédit en trois parties sur le thème du lieu puis en 2018 commence un récit poétique.

 

Elle a collaboré avec des peintres (Georges Badin) et la graveur Hélène Baumel pour un certain nombre de livres d'artistes.

L'un des ses romans, le premier,  L'Aventure, est publié chez Unicitéau printemps 2018

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