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Les Jungles rouges, Jean-Noël Orengo (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest 17.12.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

Les Jungles rouges, août 2019, 268 pages, 19 €

Ecrivain(s): Jean-Noël Orengo Edition: Grasset

Les Jungles rouges, Jean-Noël Orengo (par Marie du Crest)

 

Le dernier et très beau roman de Jean-Noël Orengo, Les Jungles rouges, marque à nouveau l’élection de l’Asie du Sud-Est comme « matière » romanesque par son auteur. En effet, son premier roman, La Fleur du Capital, évoquait Pattaya, ville-bordel de Thaïlande. Ce nouveau livre nous plonge dans l’histoire complexe et violente de ce qui fut L’Indochine française et devint le Cambodge des Khmers rouges, le Vietnam de la guerre. Bangkok, quant à elle, se révèle comme le lieu des échappées et la France, celui des exils politiques ou biographiques. Le roman traverse aussi le temps, s’ouvrant en 1924 et se refermant en 2016. Durant cette longue période, la trame romanesque construite en triptyque entrelace des épisodes autour des personnages, jouant ainsi sur des apparitions, des disparitions successives sur le principe du récit choral et sa résolution finale où les principaux personnages voient leur destin s’accomplir. Les personnages qui se croisent, au fil des époques, sont à la fois empruntés à l’Histoire comme le couple Clara et André Malraux en voleurs de biens archéologiques, ou plus tard André en journaliste anti-français.

Marguerite Duras surgit quant à elle sous le regard de Saloth Sâr alias Pol Pot, du temps de sa jeunesse militante à Paris et revient des années plus tard dans l’action du roman, alors qu’elle est installée à Trouville aux Roches Noires, et sa mort sera annoncée. Ces personnages d’écrivains deviennent des personnages littéraires au contact de la fiction et des figures inventées par l’auteur. D’une certaine manière, ils sont indissociables les uns des autres. Orengo met en œuvre justement une forme de mystère, de troubles des identités autour des héros et plus particulièrement de Xa et de toute sa filiation. Il est un boy imaginaire de Malraux, au temps de l’empire colonial. Son épouse Thuy met au monde son fils, Xa Parsith, qui aura à son tour une fille, Phalla. Mais certaines apparences sont fausses et le dénouement lèvera les masques et rétablira une certaine vérité. Le roman a quelque chose d’ailleurs, du roman d’espionnage où des hommes de l’ombre changent de nom, dissimulent leur projet politique, à la manière des traditions khmères selon lesquelles un enfant, à sa naissance, ne porte pas de nom définitif.

Et puis le roman s’empare de toute la violence, celle du colonialisme, de la guerre du Vietnam (beau passage autour de la photo-reporter française, aux nattes blondes, Catherine Leroy), et du délire génocidaire des Khmers rouges à la suite de l’exode de la population de la capitale Phnom Penh en 1975. Le dernier volet du récit a lieu à Bangkok, d’une certaine manière, à l’écart de la matrice cambodgienne, angkorienne, autour du personnage français de Jean Douchy. Ce qui, par-delà les effets d’arrêt et de reprise narrative, lie l’édifice du roman, c’est la poésie de la jungle rouge qui fait titre : son évocation revient tout au long du texte. Elle porte à la fois la métaphore de la terre d’Asie mais aussi dans sa surprenante formulation de couleur, la trace des morts. Les touristes écolos, contemporains eux aussi, à la fin du livre, « s’émerveillent de la terre rouge de la jungle ».

Jean-Noël Orengo réussit finalement à concilier, réconcilier dans ce roman une écriture historique et poétique qu’il nomme joliment « l’écriture écrite ». Ce n’est pas si fréquent dans la production française actuelle.

On peut retrouver un article sur La Fleur du Capital dans La Cause Littéraire.

 

Marie Du Crest

 

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NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

 

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)

 

Chez le même éditeur, La Fleur du Capital, 2015 (prix de Flore), L’Opium du Ciel, 2017.

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A propos de l'écrivain

Jean-Noël Orengo

 

Jean-Noël Orengo vit à Paris et à Bangkok. Il a publié de nombreuses critiques dans des revues comme ÉtudesCahiers critiques de Poésie, Cahiers du Musée d’Art moderne, dans le domaine de la littérature et de l’art contemporain. Il réalise des lectures/performances de ses textes de création. Il se consacre aujourd’hui au projet éditorial de la plateforme numérique D-Fiction et à l’écriture. En collaboration avec Caroline Hoctan, il réadapte la Divine Comédie sous l’intitulé Copyright Dante, exploration des enfers, des purgatoires et des paradis d’aujourd’hui…

 

A propos du rédacteur

Marie du Crest

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.