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Les jours de silence, Phillip Lewis, par Fanny Guyomard

Ecrit par Fanny Guyomard 16.10.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Belfond

Les jours de silence, août 2018, trad. américain Anne-Laure Tissut, 448 pages, 22 €

Ecrivain(s): Phillip Lewis Edition: Belfond

Les jours de silence, Phillip Lewis, par Fanny Guyomard

 

Quête du père, quête de l’autre et des mots pour exprimer l’amour. Avec sa plume sensible et élégante, Phillip Lewis offre un magnifique roman qui interroge les silences de notre enfance, les questions demeurées insolubles sur nos pères impénétrables dont on cherche la reconnaissance.

Comme ces romans qui se déroulent sur plusieurs décennies, Les jours de silence convoque un puissant et tendu sentiment de nostalgie. Nous ressentons les sept années qui ont été nécessaires pour écrire ce roman, ce temps qui infuse l’écriture et qui la fait traverser plusieurs phases.

Le regard enchanté de l’enfant narrateur devient lors de son exil le récit d’une longue déchéance, d’une errance destructrice. Un déni du passé, qui ne cesse pourtant de resurgir. Car en fuyant et en s’oubliant, le narrateur ne fait que redevenir ce père alcoolique. Il devient (involontairement ?) son double, comme pour mieux le comprendre. Et dans cette quête s’exprime en filigrane l’essence ambivalente de la littérature : elle est autant force d’illusion que de désillusion.

Puis un nouvel amour surgit dans cette reconstruction, et le style oscille entre la vacuité et le poignant tourbillon d’aimer. Jusqu’à l’arrivée à l’âge de jeune adulte, lucide et prêt à affronter ce passé pénible où le père a abandonné sa famille.

La clé, c’est le Père. Celui du narrateur est un excentrique avocat à l’âme d’écrivain, mephisto génial, alcoolique dément ou dracula romantique. A l’image de cet énigmatique manoir mégalomaniaque qui abrite en son centre une immense bibliothèque.

Car ce roman est une ode à la littérature ainsi qu’une réflexion sur le métier d’écrivain. « Pourquoi écrire ? A part la mort, c’est la seule façon d’arrêter le temps » (p.65). Si la lecture est un régal et un moment de partage, l’écriture est un acte douloureux, qui nous met face à nos peurs, à la mort, nous sépare des autres, nous confronte au temps gâché et à l’appréhension de l’avenir.

Le point névralgique, c’est le père et à travers lui ce manoir perché sur cette vallée perdue des Appalaches. Où personne ne lit, mais où tout le monde berce dans les récits légendaires et bibliques de la communauté autarcique.

C’est peut-être la littérature elle-même qui s’incarne dans cette vallée primitive, où le temps est à la fois suspendu et inscrit dans le cycle perpétuel de la nature. Personne n’échappe aux saisons comme personne ne peut fuir la littérature qui nous met face à nous-même, nous confronte aux questions trop longtemps non élucidées.

Cette complexité propre à chaque individualité, cette énigme identitaire, cette réflexion sur notre rôle existentiel ne pouvait que se déployer dans ce paysage montagneux et stellaire, effrayant et sauvage, aussi repoussant que magnétique. Il fallait ce décor pour prendre la mesure du temps, de la mort, pour restituer un puissant sentiment de nostalgie et une conscience de notre finitude. Le lecteur, happé par cet espace grandiose, se retrouve piégé, à nu, et comme englouti par les mots qui ressassent inlassablement ce milieu fascinant.

Fascinant, comme cette galerie de personnages romanesques que Phillip Lewis rend inoubliables, grâce à un ton original et une pensée singulière, à un art de les dépeindre avec précision tout en respectant leur caractère impénétrable. Le tout est souvent teinté d’humour, même si la tristesse et la solitude grisent le récit. Il n’en devient que plus beau.

On aimera la plume de Philip Lewis, à la fois acérée et légère, fine et piquante. Les descriptions percutantes se font savoureuses quand elles dépeignent des personnages, brillantes quand elles saisissent la musique des grands romantiques. Les mots sont toujours justes, pertinents. Le glaçant côtoie la plénitude, le gothique penche vers le grotesque. Jusqu’aux dernières pages particulièrement lourdes de mélancolie, évitant le pathétique grâce à la sobriété du style.

C’est un de ces livres que l’on redoute de terminer, tant il nous emporte dans son monde, ses mots, ses personnages. Il hantera le lecteur, comme le narrateur est hanté par l’amour et l’incompréhension.

 

Fanny Guyomard

 

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  • Vu : 1982

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A propos de l'écrivain

Phillip Lewis

 

Né en Caroline du Nord, Phillip Lewis a étudié à l’université North Carolina de Chapel Hill et à l’école de droit Norman Adrian Wiggins, où il a été rédacteur en chef de la Campbell Law Review. Avec son premier roman, Les Jours de silence, il nous plonge dans le décor fascinant des montagnes des Appalaches d’où, comme son narrateur, il est originaire. Il vit actuellement à Charlotte, en Caroline du Nord.

 

A propos du rédacteur

Fanny Guyomard

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Fanny Guyomard, journaliste et ex-khâgneuse, elle s’intéresse plus particulièrement à la question de soft power passant par les arts et le numérique. @FannyGuyomard