Les Foudroyés, Paul Harding (par Yann Suty)
Les Foudroyés, 186 p. 15 €
Ecrivain(s): Paul Harding Edition: Le Cherche-Midi
Le livre débute alors que George agonise sur son lit de mort, victime d’un cancer en phase terminale. Il est installé dans le séjour de sa maison. Séjour dans lequel sont installées de nombreuses horloges. George était en effet horloger. Les membres de sa famille, enfants, petits-enfants, viennent veiller sur lui.
Huit jours avant de mourir, George commence à avoir des hallucinations. La maison, par exemple, s’effondre tout à coup sur lui. Mais George se souvient également. Mais est-ce un vrai souvenir ? Ou est-ce une autre forme d’hallucination ?
« Allongé sur son lit de mort, George avait envie de revoir son père. Il avait envie d’imaginer son père ».
Il se souvient donc de son père, Howard. Vendeur itinérant, il sillonnait les routes du pays sur sa carriole, disparaissant parfois de la maison pendant des semaines. Son père était épileptique. S’il s’arrangeait pour cacher ses crises à ses enfants, George en fut témoin de quelques-unes qui le secouèrent, notamment, quand, au cours de l’une d’elles, son père le mordit.
Paul Harding change alors de point de vue. George se souvient, son père Howard aussi. Sa femme, la mère de George, croyait que ses crises d’épilepsie étaient le symptôme d’une folie rampante. Elle avait d’ailleurs l’intention de le faire interner. Quand Howard le découvrit, il prit la fuite. Il quitta le foyer familial. Il changea de nom et entama une nouvelle existence.
Et Howard en vient à se souvenir aussi de son père, un ancien pasteur, qui était de plus en plus contesté par sa communauté.
La mémoire se transmet à travers les destins d’un grand-père de son fils et de son petit-fils. Par une habile construction, on a plutôt l’impression que c’est George, en se souvenant (ou en hallucinant) qui crée son père et qui à son tour recréera le sien. L’ordre des choses est inversé. Le descendant crée son ascendant par la force de son imagination. Et peut-être d’ailleurs que tout n’est qu’invention et rien n’a vraiment existé. Paul Harding ne lève jamais le doute. Souvenir ou hallucination ? Qu’est-ce qui est vrai ?
Les Foudroyés est un texte magnifique, à l’écriture très poétique. On dirait que Paul Harding a d’abord écrit des poèmes pour les adapter ensuite en prose. Sa phrase est dense et riche et oblige à prendre son temps pour l’apprécier. Il y a un côté contemplatif que l’on retrouve chez des écrivains comme Julien Gracq ou Cormac McCarthy, avec une attention très marquée pour les paysages. Les descriptions sont riches et méticuleuses, comme George peut l’être avec son métier d’horloger. Un exemple :
« Comment puis-je ne pas me demander ce que ce serait que de m’asseoir dans cette froide eau d’argent, cette froide eau pierreuse me montant jusqu’au menton, les feuilles de spartine emmêlées à hauteur d’yeux, m’asseoir dans l’eau figée, dans l’air figé, la lumière du jour derrière moi éclairant le visage de toutes choses sous la meule noire des visages dont le couvercle empèse le ciel devant moi tandis que je regarde l’orage approcher au nord ? Et mon père qui me murmure à l’oreille : Reste bien immobile, immobile, immobile. Et pourtant tu changes tout ».
Pour la petite histoire, Les Foudroyés est le premier roman de Paul Harding, ancien batteur d’un groupe de hard-rock. Refusé par toutes les grandes maisons d’éditions américaines, il trouva refuge chez un petit éditeur qui effectua un premier tirage à 3500 exemplaires. Le succès fut aussi intense qu’inattendu. Il a reçu le prix Pulitzer 2010.
Yann Suty
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