Les bords de la fiction, Jacques Rancière
Les bords de la fiction, septembre 2017, 208 p. 21 €
Ecrivain(s): Jacques Rancière Edition: SeuilLa fiction n’est pas pure invention et vagabondage de l’esprit. Il y a une raison fictionnelle, un système par lequel on nous dit comment les choses en général peuvent arriver. C’est la matrice d’Aristote qui nous montre comment on peut passer de la prospérité à l’infortune, de l’attente à l’inattendu, de l’ignorance au savoir, moyennant une péripétie ou une épreuve. Pour Jacques Rancière, cette matrice est aujourd’hui encore la base de tout savoir produit par nos sociétés. Mais certains changements sensibles sont advenus depuis l’époque d’Aristote.
Tout d’abord, le champ de la fiction s’est élargi. Il a dépassé la poésie pour englober toutes sortes de discours littéraires, historiques, sociologiques et politiques. Ensuite, c’est une transformation de l’objet de la fiction. Avec la prépondérance de la littérature en particulier, on cesse de se courber devant l’exceptionnel et l’héroïque pour se pencher sur le trivial et le commun. On trouve une poésie aussi dans ces choses jusque-là honnies et négligées, dans les activités nécessaires de la vie et l’écoulement des existences ordinaires. Ainsi, la littérature vient briser la dichotomie entre vies sans histoire et vies héroïques. C’est en partie grâce au développement des sciences sociales qui mettent en lumière cet obscur des activités quotidiennes.
La science a aussi son mot à dire, notamment dans les nouvelles formes du roman. Elle change notre rapport à la connaissance, qui n’est plus vue comme une malédiction mais comme quelque chose de bénéfique et de souhaitable. La connaissance est alors définie comme le renversement des apparences, un renversement opéré par le pur hasard et non une quelconque science des signes. Dès lors, l’art du narrateur est de créer des mensonges vraisemblables à dévoiler et c’est ainsi qu’il trouve tout le plaisir d’écrire. C’est notamment le cas de Proust dont les récits sont truffés de mensonges et de parades dévoilés.
On assiste aussi à une forme de démocratisation de la fiction. Les conditions sont brouillées, les aristocrates deviennent un sujet d’étude pittoresque tandis que les visages des pauvres prennent une dimension esthétique. Plus généralement, on dépasse les types sociaux figés vers l’individu dans sa complexité dynamique. On assiste aussi à une transformation des formes de narration. Le récit est plus bref et la poésie en prose fleurit. Les romans se condensent. Plus l’affect s’élargit, plus le temps-espace est restreint. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la beauté de la nouvelle.
Fedwa G. Bouzit
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