Les Aventures de Tom Sawyer, Mark Twain (par Philippe Chauché)
Les Aventures de Tom Sawyer, Mark Twain, Editions Tristram, Coll. Souple Deluxe, mars 2023, Préface Hervé Le Tellier, trad. Bernard Hoepffner, 320 pages, 14,90 €
Ecrivain(s): Mark Twain Edition: Tristram
« Qui va là ? »
« Tom Sawyer, le Vengeur Noir de la Mer des Caraïbes. Nommez-vous ».
« Huck Finn les Mains Rouges et Joe Harper la Terreur des Mers ». Tom leur avait fourni ces titres ronflants, empruntés à ses lectures favorites.
« C’est bon. Quel est le mot de passe ? »
Deux murmures rauques prononcèrent en même temps le mot sinistre dans la nuit lugubre.
« SANG ! »
Cette édition des Aventures de Tom Sawyer est la quatrième que publient les Editions Tristram, dans les traductions éblouissantes et pétillantes de Bernard Hoepffner (1) ;
la première a vu le jour en 2008, et la dernière aujourd’hui. Les trois premières ont brillamment rencontré leur public, soit 25.000 exemplaires vendus. Les Aventures de Tom Sawyer est pour la première fois publié en 1876, et c’est le premier succès de Mark Twain, pseudonyme de Samuel Clemens, un livre qui sera célébré, nous rappelle Hervé Le Tellier qui signe une belle préface, à la fois par Faulkner, Hemingway et Fitzgerald, comme fondateur de la littérature américaine. Les Aventures de Tom Sawyer est un roman d’enfance, pour les enfants curieux, aventuriers, malins et joueurs, qui prendront grand plaisir à le raconter à leurs parents, heureuse revanche de la littérature jeunesse, et qui ne va plus quitter la bibliothèque de leurs parents, comme si à leur tour ils disaient donner c’est donner, reprendre c’est voler. Tom n’a peur de rien, de rien de ce qui peut effrayer un enfant de son âge, les fantômes, les sorcières, la nuit, et il s’invente mille histoires, qu’il va vivre, en compagnie de ses petits copains, tous aussi chenapans que lui : Huck, qui comme Tom rêve de devenir brigand après avoir goûté, avec un troisième jeune larron, Joe, au plaisir d’être pirates sur une île inhabitée du Mississippi, à trois miles de leur village, St. Petersburg. Avec Huck, Tom sera témoin d’un meurtre, dont après quelques péripéties, il dévoilera, à la surprise générale, le nom du criminel. Les Aventures de Tom Sawyer sont nourries de péripéties et d’histoires toutes plus étonnantes et surprenantes les unes que les autres, toutes plus surprenantes et amusantes, toutes plus réjouissantes et parfois inquiétantes, tant ces personnages sont touchants, tant la plume alerte de Mark Twain les rend vivants, tant les dialogues sont éblouissants, et merveilleusement écrits, et c’est le moins que l’on puisse attendre d’un roman, et d’autant plus d’un roman pour la jeunesse, même lorsqu’elle a pris quelques rides, à l’image du rédacteur de cette recension. Tom semble croire avant tout aux aventures qu’il invente en sachant que c’est son socle familial qui les rend possibles, car s’il s’échappe, il sait qu’il peut revenir, et son ami Huck, un enfant pauvre, lui ne croit pas à la nouvelle richesse qui les lie, quand ils découvrent un trésor, et préfère rester ce qu’il a toujours été, profondément libre, de faire ce qu’il veut, quand il le veut. Tom reste lui, fidèle à sa vie d’aventures imaginées, fidèle à son amoureuse, qu’il sut sauver d’une mort certaine, et fidèle à sa famille et à son village, dont il est devenu le héros.
« Et alors une robe franchit le portail, et le cœur de Tom fit un bond dans sa poitrine. À l’instant même, il se rua dehors et “cabriola” comme un Indien ; il hurlait, riait, courant après les garçons, sautait par-dessus la clôture au péril de sa vie et de ses membres, pirouettait, marchait sur les mains – toutes les choses héroïques qui lui venaient à l’esprit, tout en cherchant, tout ce temps-là, du coin de l’œil, à voir si Becky Thatcher faisait attention à lui ».
La force de ce roman de Mark Twain tient tout d’abord à la liberté qu’il s’offre dans les dialogues, la langue s’écrit comme elle se parle, comme elle se parle dans l’enfance et par l’enfance au XIXe siècle en Amérique, dans ce territoire des bords du Mississippi. Une langue vive, piquante, imagée, qui cabriole, comme le fait Tom pour séduire la petite Becky, les mots se compressent, comme s’ils étaient effrayés par un bruit, une présence maléfique. C’est une langue qui déclenche sourires et rires du lecteur, une langue éblouissante par les écarts heureux qu’elle fait subir, à celle qu’il conviendrait d’écrire ! L’autre force littéraire de ce roman époustouflant, tant il fait parfois perdre souffle à son lecteur par ses rebondissements, et ses rebonds, c’est l’imaginaire qu’il déploie, les aventures qui s’y inventent, les trouvailles qui se dévoilent, et Mark Twain croit au pouvoir du roman, à ses acrobaties fantasques et même fantastiques. Il croit aussi à ses personnages, à la sagesse de son héros, Tom, et à celle tout autre de son complice, Huck, il saisit avec une grande finesse ces scènes villageoises, avec ses règles, ses joies et ses colères, ses rêves, et ceux des enfants qui les bousculent.
Philippe Chauché
(1) Bernard Hoepffner, traducteur notamment d’Herman Melville, Trois contes doubles, de Gilbert Sorrentino, notamment Red le démon et La folie de l’or, des Aventures de Huckleberry Finn, de Mark Twain, et les deux premiers volumes de son autobiographie, Une histoire américaine et L’Amérique d’un écrivain (Tristram) et d’Ulysse de Joyce, avec d’autres traducteurs pour l’édition de Jacques Aubert pour Gallimard. Disparu le 7 mai 2017 dans le sud-ouest du Pays de Galles, emporté par une vague, il serait dit-on tombé d’un chemin des contrebandiers très escarpé qu’il connaissait bien.
Les Editions Tristram ont également publié de Mark Twain : Les Aventures de Huckleberry Finn ; N°44, Le Mystérieux étranger ; et deux volumes de son autobiographie.
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