Le temps de la haine, Rosa Montero (par Léon-Marc Levy)
Le temps de la haine (Los Tiempos del Odio), septembre 2019, trad. espagnol, Myriam Chirousse, 354 pages, 22 €
Ecrivain(s): Rosa Montero Edition: MétailiéRosa Montero nous offre une suite aux aventures de Bruna, la belle Réplicante de combat, rencontrée deux fois dans Des larmes sous la pluie et le poids du coeur. Et donc une lecture réjouissante, qui nous projette dans un futur certes lointain (au-delà des années 2100) mais qui, du point de vue des références à notre monde, s’avère étrangement proche de nous.
La force de ce roman est d’abord de nous ramener vers une Science-Fiction comme nous n’en avons pas lue depuis belle lurette. Une Science-Fiction sans complexe, avec des robots, des voyages interstellaires, des utopies planétaires.
« Au-delà, les ténèbres interstellaires, éclaboussées par les étincelles des étoiles, des planètes éclairées par leurs soleils, les lunes, les nébuleuses, les galaxies lointaines. Ici, hors du filtre sale de l’atmosphère terrestre, l’immense majorité des corps célestes montraient un éclat redoublé et fixe, sans aucun clignotement, de durs boutons de lumière. Le cosmos ressemblait à une boîte à bijoux en velours noir rempli de diamants. Et sur sa gauche, ah, Bruna la voyait maintenant avec clarté, parce que son corps avait lentement tourné dans le vide, là-bas au fond il y avait la Terre, resplendissante, une boule de lumière hypnotisante, colossale en poids et dimension, son bleu intense tacheté par la crème fouettée des nuages. […]
La beauté de ce qu’elle voyait était si grande, tellement impossible et surhumaine, que la tête de Bruna ne garda plus aucune place pour la peur ».
Et, cela fait du bien. Loin des monocordes et sempiternels états des lieux de notre monde, loin des exofictions sans ressort, loin des approches psychologisantes de caniveau, Rosa Montero nous entraîne dans un tourbillon imaginaire, plein d’aventures, de surprises et d’un humour constant qui rend la narration attachante et délicieuse. Il faut oser l’imagination semble être le mot d’ordre de ce roman.
L’autre mot d’ordre, non moins convaincant, pourrait être il faut aimer, quoi qu’il arrive, notre monde et ses pauvres humains. Dans un monde unifié (EUT – Etats Unis de la Terre), la menace terroriste est permanente, intérieure et extérieure à la Terre, et le combat pour la liberté jamais gagné. C’est la mission de Bruna et des policiers qui l’entourent. Parmi eux, Paul Lizard, son amant et collègue, qui disparaît mystérieusement dès le début du roman et que Bruna va rechercher.
Les allusions à notre monde sont nombreuses et fort convaincantes. Le terrorisme hélas, plus actif que jamais, mais aussi des tendances sociétales positives – le souci écologique par exemple ou sanitaire. On ne mange plus d’animaux, ou presque, végétaux et insectes les ont remplacés avantageusement. On découvre des « fermes à insectes », véritables usines de fabrication industrielle de petites bêtes qui feront la matière première de mets délicieux et nourrissants. On mange aussi des méduses transformées qui permettent l’élaboration d’autres mets tout aussi essentiels à la vie.
« Et, se redressant, elle toucha un panneau dans la paroi et l’enceinte s’alluma. Ils se trouvaient, en effet, à l’intérieur d’un des tubes. Autour d’eux, au-dessus et en dessous à perte de vue, une multitude d’alvéoles construites dans quelque chose comme de la résine palpitait d’une vie infinitésimale. Des créatures noires et minuscules rampaient, crissaient, se grimpaient les unes sur les autres, recouvraient les parois en grappes. C’était une énorme ferme à insectes ».
Au-delà de l’aventure attachante et rondement emballée qui mène Bruna Husky et ses ami(e)s au secours de Paul, Rosa Montero glisse une ode à la liberté, à la démocratie, aux résistants à l’oppression. Au triomphe de l’amitié et de l’amour aussi. Avec talent et un humour réjouissant. Qu’on en juge par cet extrait :
« – Ah oui bien sûr… je m’en souviens s’exclama Lago, sardonique. Voilà les informations. Tu proviens du matériel génétique d’une écrivaine et journaliste d’il y a cent ans… Rosa Montero. Elle est totalement oubliée aujourd’hui, mais elle a été plus ou moins connue en son temps ».
Une récréation rafraîchissante et intelligente, traduite comme toujours avec talent par Myriam Chirousse. Une oasis littéraire en plein futur.
VL3 (assez haute valeur littéraire)
Léon-Marc Levy
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