Le Passeur, Stéphanie Coste (par Catherine Blanche)
Le Passeur, Stéphanie Coste, janvier 2021, 129 pages, 12,50 €
Edition: Gallimard
En 2007, dans Bilal sur la route des clandestins, le journaliste italien Fabrizio Gatti écrit une odyssée vibrante qui rend compte de ce qu’il a vu et vécu – du Sénégal jusqu’au camp de rétention de Lampedusa, après s’être glissé dans la peau d’un immigré clandestin. Sans prétendre faire œuvre littéraire, il témoigne et c’est bouleversant. Le souvenir de cette lecture me pousse en janvier 2021 à aborder Le Passeur de Stéphanie Coste. Tout de suite, nous sommes au cœur de l’évènement : Sur la côte libyenne, deux arrivages de migrants – Soudanais et Somaliens – cuisent depuis une bonne semaine – entassés dans un entrepôt, dans l’attente d’un embarquement imminent pour la terre promise, l’île de Lampedusa. Mais Seyoum, passeur sans scrupule, ne fera pas charger tant que toute sa marchandise ne sera pas au complet. Or, une troisième « cargaison » d’une soixantaine d’Erythréens se fait languir. Et c’est tout le passé de Seyoum qui va débouler avec ce troisième convoi.
129 pages menées tambour battant, un livre sur mesure pour les temps actuels ; une succession de scènes courtes, à flux tendu, et parcourues au même rythme, c’est-à-dire au pas de charge par le lecteur : pas de développement inconsidéré, pas de prise de tête ; tout est dit, bien expliqué, bien mâché, et d’emblée une accroche très sûre : cynisme, drogue, violence et cruauté.
L’écriture n’est pas sans ressort, mais elle est surtout très scolaire. A encourager, dirait un maître indulgent. Ainsi, d’emblée, on remarque un dialogue intérieur plaqué n’ayant visiblement d’autre but que de donner des informations. Cela sonne faux. C’est lourd. Avec un premier degré assez affligeant : « J’ai voulu m’en mettre plein les poches pour la dernière traversée de la saison ». Une écriture maladroite, donc. Très. Comme mettre des mots pour mettre des mots, au prétexte que ça fait beau. Des adjectifs en veux-tu en voilà (« la noirceur jouissive de la nuit »). Des redondances à la pelle : « Ses yeux dans leurs orbites spectrales me crucifient avec des clous de haine ». « [Je]vide mon estomac dans la bouche avide du tumulte ». « Des vagues de sueur et de larmes m’agressent de leur sel corrosif, leur acidité détruit ma virilité ». Avec cette splendeur : « Mon barrage de frustration se fissure à nouveau et ne demande qu’à déverser ses grandes eaux. Je le colmate mentalement avec une bonne couche de sadisme. […] Je crache encore ma haine entre ses jambes sur le sol assoiffé. […] ma cruauté le dépasse lui et le ciel crasseux qui nous écoute, indifférent ».
On peut noter aussi ce mot bateau, résilience, dont les médias nous rabâchent constamment les oreilles et que la narratrice se croit devoir utiliser : « la résilience finit par capituler sous le poids des chagrins » et « Main dans la main, résilience contre résilience ». Un langage qui se veut cru, désabusé mais qui pour autant n’évite pas l’écueil de la sensiblerie, histoire de faire pleurer Margot avec quelques jolies guimauves : « Moi je croyais que le plus important dans la vie c’était de protéger les gens qu’on aime ». « Moi qui pensais être devenu insensible aux évènements qui s’étaient acharnés sur ma courte existence, je craquais ». Qui aime Coelho appréciera. Voilà pour l’écriture. Quant au récit, les meilleurs moments se situent incontestablement dans les retours temporels d’enfance et d’adolescence traités de façon plus sobre et nuancée, avec l’amorce d’une approche intérieure. Mais l’histoire s’avère peu de chose (avec à la clé une belle invraisemblance), et pourrait facilement s’apparenter à certains romans de gare : c’est facile et ça vous tient parce que c’est-trop-horrible-tout-ça-et-comment-ça-peut-finir ? Avec le thème d’un vilain passeur qui se révèle avoir un cœur gros comme ça.
Il y a encore quelques années, un livre de cette nature aurait été publié à compte d’auteur. Aujourd’hui, il sort dans la collection Blanche. Chez Gallimard.
PS : Rappel de l’ouvrage qui a été évoqué au début et qu’on ne saurait trop recommander à ceux que le sujet de l’émigration clandestine intéresse : le passionnant Bilal sur la route des clandestins, de Fabrizio Gatti (traduit par Jean-Luc Defromont), aux éditions Liana Levi.
Catherine Blanche
Stéphanie Coste a vécu jusqu’à son adolescence entre le Sénégal et Djibouti. Et vit à Lisbonne depuis quelques années. Le Passeur est son premier roman, récompensé le 14 avril 2021 par le Prix de la Closerie des Lilas.
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