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Le paradis terrestre (coulisses), par Jean-Paul Gavard-Perret

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 16.04.18 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

Le paradis terrestre (coulisses), par Jean-Paul Gavard-Perret

 

J’ai connu mes premiers émois charnels devant une statue de Notre-Dame-de-la-Salette. La beauté féminine sacrée cachait déjà mon dévoiement, mon démon et ma honte. J’imaginais derrière les plis bleus de la longue robe de la Vierge ses cuisses.

En ce lieu saint et au moment de la messe, je me plaçais toujours derrière une même femme qui semblait porter dieu en elle juste un peu plus haut que ses cuisses en partie recouvertes. Sans doute aurait-elle pu être ma mère. Cela n’enlevait rien à ses charmes. Au contraire. Il y avait belle lurette qu’en moi Œdipe s’abîmait.

Je me mettais toujours derrière la paroissienne afin de regarder la couture de ses bas lors de la génuflexion. J’imaginais leur impossible seuil que jouxtaient sans doute deux porte-jarretelles. En de telles perspectives il était peu probable que la féminité ne contienne qu’elle-même.

Et si certaines religions prescrivaient la représentation humaine ce n’était pas par hasard. Il y avait dans la femme le venin sublime – substance créée par Dieu lui-même. Et chez ma pieuse cela s’accompagnait du parfum « Soir de Paris » de Bourjois, avec un J comme joie.

Je faisais entrer Marie la Sainte et la gainée de bas Nylon dans l’obscurité de mes désirs. J’aurais voulu être le Christ pour qu’elles viennent sur moi le caresser. La beauté, la jouissance, le supplice, le sale, le sanctifié étaient réunis dans l’exercice sacré de mon érotisme balbutiant et fantasmé. Non la beauté « idéale » mais une prescience de la prostitution, l’arrière fond de stupre et de fornication. Ce n’était sans doute un secret pour personne dans ma génération : tel ou tel déhanchement d’une sainteté crasse, tel creusement de la statuaire déchaînaient le tremblement de chair.

Deux femmes donc. L’une qui sentait le parfum et l’autre l’eau bénite. Je ne pouvais les isoler. Elles étaient comme deux fils dénudés pour une même décharge. Elles s’inclinaient chacune à leur manière. Comment ne pas penser désirer et demeurer de marbre ? Comment éviter le mal ? Mon « je t’aime » envers elles m’aurait fait rougir. Néanmoins tous les soirs elles exigeaient mon corps avant que pour le laisser en paix une autre le calme. Pas n’importe laquelle. La première d’entre elles.

Et si je pouvais laisser croire que mutilé entre les deux chaleurs de l’église, je préférais le songe et l’invention à la réelle épaisseur de la chair, c’était sans compter avec l’attention de ma mère, son étreinte étroite et son baiser parfait. Du fond de son silence, elle me tenait en laisse, assise dans ses lambeaux de soir, son tricotage sur son entrecuisse, aiguilles agiles, langue tirée. Puis à genoux pour prier afin d’espérer que le désir reste hors de notre portée et que nos chairs soient mortifiées. Le tout avant de succomber. Je glissais dans son lit après son « viens » discret, à peine susurré.

Son geste me répandait. Je glissais dans l’épaisseur de l’air entre ses cuisses ouvertes jusqu’à pouvoir embrasser ses grandes lèvres. « Regarde moi » disait-elle. Chose faite, avant de s’endormir, elle tenait mon membre érigé. Que n’aurais-je pas donné pour toutes les saintes de la terre et toutes les putains ! Mais mère faisait le reste. Bientôt, me retirant prestement de son sexe, mon jus sortait en sirop d’orgeat épais sur son ventre. Ensuite il fallait nous fendre d’une prière : Acte de Contrition voire le Notre Père et tout le bordel.

Etant au plus près d’elle, je pensais qu’il valait mieux que je ne sois pas moi-même. Mais le sexe poussait et repoussait. Mère endormie, je surveillais sa respiration. Pris de panique à l’idée qu’elle ne respirait plus au nom de mes pensées mauvaises. Me souvenant soudain que toutes les mères sont des saintes, n’allais-je pas ainsi et pour un destin définitif vers l’enfer?

Chaque matin qui succédait à nos ébats nocturnes, je me précipitais à la messe avec elle. Je retrouvais la pieuse en cache-cœur et la Vierge de la Salette. La première parfois offrait à la seconde un cierge. S’y rallumait mon feu intérieur et les stigmates du ciel. Mais le monde devint grotte et volcan. J’y trempais mon sexe. Il me contemplait, j’appris ainsi à le vivre à l’épreuve du temps. Un corsage décolleté, ses seins où la lumière du soir révélait des taches de rousseur ferait toujours l’affaire.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.