Le Guérisseur des Lumières, Frédéric Gros (par Gilles Banderier)
Le Guérisseur des Lumières, août 2019, 172 pages, 17,90 €
Ecrivain(s): Frédéric Gros Edition: Albin Michel
Le nom de Franz Anton Mesmer n’est pas tout à fait oublié. Il survit dans les limbes de la culture générale. Les anglicistes savent que le verbe to mesmerize (avec ses dérivés) est un synonyme de to hyponotize. En français, l’importation lexicale n’a jamais pris (le malsonnant mesmériser est un anglicisme à l’état pur). Cette simple différence linguistique est à elle seule représentative de la postérité du docteur Mesmer, à qui l’Angleterre fit un bel accueil (Paris ne l’avait pas ignoré, loin de là, mais ce fut une mode qui dura ce que durent les modes).
Avec bonheur, Frédéric Gros redonne vie à un genre littéraire qu’on pouvait à bon droit croire périmé : le roman épistolaire. Son Guérisseur des Lumières se présente sous la forme de dix lettres, plus ou moins longues, adressées entre janvier et mars 1815 par Mesmer à un correspondant et confident. Le médecin avait alors 81 ans – un fort bel âge à son époque et, à toutes les époques, un âge où il est temps de mettre en ordre ses affaires et ses souvenirs. Ces dix lettres sont l’occasion de revenir sur ce qui fut la grande affaire de sa vie : la théorie du magnétisme.
De quoi s’agissait-il ? Mesmer était convaincu qu’il existait un fluide universel « qui secrètement relie la résonance du rocher à la sensibilité des fleurs, le corps des étoiles à notre sang » (p.31-32). Les amateurs auront reconnu le concept de Force employé dans La Guerre des étoiles, prodigieuse machine (bien que sujette à des pannes intermittentes) à recycler des pans entiers de l’imaginaire occidental. Ce que Mesmer professait n’était rien d’autre qu’une transposition, au niveau biologique, de la grande découverte de Newton : une force unificatrice et invisible expliquant les mouvements des étoiles et des planètes. Sauf que Mesmer fut incapable de réduire jamais « sa » force à un modèle mathématique, rigoureux et transposable. Il lui manquait surtout un des critères majeurs de la validation scientifique : la reproductibilité. Quand le magnétisme fonctionnait (car il semble bien qu’il ait fonctionné dans certains cas), ce n’était que parce que Mesmer le pratiquait. Et on ne manqua pas de le lui faire remarquer. De même que les histoires de vampires, à la mode quelques années plus tôt, présentaient un tableau dégradé et parodique de la résurrection des corps, les guérisons accomplies par Mesmer ressemblaient trop aux miracles opérés par le Christ pour que, en un siècle aussi raisonneur et chicanier que fut le XVIIIe, les choses passent comme lettre à la poste. Toutefois, face à une médecine « traditionnelle » qui ne progressait qu’à pas lents et ne proposait que des remèdes les uns plus effrayants que les autres, Mesmer offrait une thérapie indolore, à défaut d’être toujours efficace. Peut-être avait-il découvert sans les formuler le principe psychosomatique et l’effet placebo, mais cela fut noyé parmi des élucubrations et une mise en scène digne des loges maçonniques (c’est peu dire que la Société de l’harmonie, fondée par Mesmer, avait tout d’une secte). Une question demeure posée : fut-il purement et simplement un escroc ou crut-il (et s’il y crut, jusqu’à quel point ?) à ses théories ?
Gilles Banderier
Agrégé de philosophie et professeur de pensée politique à Sciences Po, Frédéric Gros est l’éditeur de Michel Foucault dans la Bibliothèque de la Pléiade.
- Vu : 1883